Jonköpping me fait penser à Forbach. Aucun lien. Aucune ressemblance. Probablement juste le contexte dans lequel j’y vais. Et le fait que chacune de ces petites villes ait vu naître quelqu’un de connu.
La neige, bleue dans le ciel sombre du milieu d’après-midi. Les trajets en bus. Beaucoup de trajets en bus. Pour aller à Beauvais, pour aller de Stockholm à Jonköpping. Puis de la gare routière à la cité U d’Aurélia.
La douche à l’italienne de l’appart. Les repas de crevettes. Les colocs. Les soirées, les virées. La neige. Les cinammon rolls et ces pâtisseries remplies de crème dont le nom m’échappe, là, tout de suite, mais que j’ai longtemps retenu.
Le lac.
Le bonneteau dans les rues du vieux Stockholm.
Göteborg. Le musée des vikings. Le café où nous prenons nos petits déjeuners, et le comic shop juste en-dessous.
La relève de la garde.
Les trajets de nuit dans le bus, avec la musique et l’ordi.
Un moineau dans un souterrain. Une statue de Pippi Longstocking. Une librairie, bien sûr.
Un port. De l’eau. Des arbres.
De la réglisse salée.
Et l’absence de direction de ma vie. L’absence de présence aussi. Je suis là sans y être. Dans ma vie, je veux dire.
C’était il y a bientôt dix ans. Déjà.
J’ai envie de retourner en Suède, pour la vibration du pays, pour le goût de l’air. Pour les sonorités de la langue. Pour dire « Tak » et « Hej ».
Pour la neige.
Et peut-être pour retrouver un fantôme de moi, parler avec lui, lui dire que c’est cool ce qu’il vit et que ce que je vis l’est encore plus, même si je n’ai pas envie de comparer. Pas vraiment. Ou alors juste pour voir, en contraste, comme ma vie a changé.
Aujourd’hui j’ai retrouvé une lettre que j’ai écrite cette année à mon moi de 16 ans. Ça commence par « Tu lis cette lettre en 1998. Je te l’écris en 2017 »
J’avais oublié que j’avais écrit cette lettre. En la lisant, j’ai été ému de tout le chemin parcouru, toute cette lutte que j’ai décidé de ne plus mener entre ce que je voulais être et ce que je veux être.
A quelle fréquence oublions-nous que nos rêves aussi ont le droit de changer. Que ce qui avait du sens à vingt ans, ces aspirations qui faisaient le sens de nos existences, ne sont pas toujours pertinentes à trente. Pas de la même façon. Pas sous la même forme. Ou juste pas du tout.
Il s’en passe des choses en vingt ans. Assez pour commencer une nouvelle vie, avec de nouveaux besoins, de nouvelles envies, de nouveaux désirs.
J’ai fait les choses à l’envers de la plupart des hommes. J’ai construit ma famille avant de m’intéresser à ma carrière. J’ai réalisé mes rêves avant d’écouter la voix de la raison. J’ai tendance à être fasciné par ces vies qui commencent à se réaliser à cinquante ans, ces hommes et ces femmes qui poussent la porte de mon bureau, s’installent et me disent: après toutes ces années à vivre pour les autres, j’ai décidé de faire attention à moi.
J’imagine que nous faisons tous ça, d’une certaine manière. Pourtant j’ai l’impression d’avoir beaucoup vécu pour moi et d’avoir davantage à faire attention aux autres aujourd’hui. Ca ne veut pas dire de cesser de faire attention à moi mais j’ai développé une puissante sécurité interne.
Je sais que je peux m’appuyer sur moi. J’ai travaillé pour arriver à cette confiance. Et si, d’un point de vue extérieure, je peux sembler vivre une vie d’équilibriste, en réalité j’ai des fondations solides, je suis ancré profondément dans le sol, les pieds verrouillés dans le béton de mon expérience. Je vacille, je vacille, mais je ne bouge pas. Ou peu. Et parce que je l’ai choisi.
Ce qui est amusant c’est que les gens qui me connaissent vraiment voient mes hauts et mes bas. Je peux d’autant mieux m’abandonner à mon nihilisme, à ma vision pessimiste de l’avenir, que je suis solide. Je peux jouer avec mes états sans les prendre vraiment au sérieux.
Quand je compte le temps qu’il me reste à vivre, je souris, je me dis « ce serait bien que j’arrive à cent ans, et pourquoi pas plus loin encore ? » et je réalise toutes les vies que je peux inventer dans ce temps et je le réalise d’autant mieux que je peux voir, de façon très factuelle, toutes celles que j’ai déjà vécues.
Il y a un certain vertige à me dire que je ne sais pas où je serai dans deux, trois, dix, vingt ans, et c’est un vertige excitant. Il y a quatorze ans j’ouvrais mon premier livre de PNL, sans le finir. Je me disais: « je pourrais devenir praticien » mais sans trop y croire et sans que ce soit un vrai projet.
Et aujourd’hui, je suis praticien certifié. Je continue de me former. Ce matin encore j’écoutais des enregistrements pour aller plus loin. La semaine dernière, je coachais, en étant supervisé, un de mes compagnons d’apprentissage. Et hier, en réfléchissant à ce que j’allais faire ces cinq prochaines années, j’ai réalisé que je voulais continuer à construire mon expertise de cette discipline et que je n’ai envie d’être nulle part ailleurs que là, à faire ça, et à voir le changement chez mes clients.
Qui sait où la vie nous mène ?
Alors j’ai envie de retourner en Suède, pour voir ces paysages et redécouvrir ces lieux et sentir le froid. Je veux marcher dans mes propres pas et ressentir ces changements dans chaque cellule de mon corps, et sourire au passé et à l’avenir parce que mon présent est la parfaite charnière entre les deux.
Et que cette charnière, aujourd’hui, est délicieuse, exactement telle qu’elle doit être.