Je sais où je vais. Je vois le temps que cela me prend de m’approcher, chaque jour, de ma destination. Je vois les sacrifices que cela me demande. Sacrifices relationnels, sacrifices financiers, sacrifices en temps de sommeil.
Je réalise qu’il n’y a pas une très vaste masse de choses qui m’intéressent dans la vie et cela m’aide à trier, dans l’infini de possibles qu’offre le monde, celles qui me font avancer vers mon horizon et celles qui m’en éloignent.
Mais déjà le peu de choses qui sont importantes pour moi (être là pour mon fils, être là pour mon écriture, être là pour mes ami*es) remplit mes vingt-quatre heures quotidiennes. S’y ajoutent les nécessités sociales: gagner de l’argent pour les factures, remplir les papiers administratifs dont je me passerais bien.
Je sacrifie beaucoup de choses à ma vocation. Je sais que ces sacrifices d’un confort à court-terme sont au service de la continuité de mon épanouissement et de ma super réalisation future. Je dis super réalisation parce que je n’aspire pas juste à me réaliser un peu. J’ambitionne de devenir un Super Saiyan (ce qui dans mon cas, n’implique pas de devenir blond et super baraque).
Dans le temps limité dont nous disposons, il importe de choisir nos combats.
La plupart des gens agissent en réaction au monde. Choisir ses combats veut dire: cesser d’être réactif. Cela signifie décider ce que l’on veut et concentrer son attention et ses efforts sur cette chose-là plutôt que sur les autres.
Le sacrifice n’en est pas un lorsqu’il a une finalité qui le dépasse. Qui est claire.
Le sacrifice peut alors s’appeler « choix conscient », « implication », « détermination », « volonté ». Il n’est un sacrifice qu’aux yeux de ceux qui ne le comprennent pas.
Mille brèches
Et puis il y a ces moments terribles où le temps m’échappe. Où le sablier fuit par mille brèches, trop nombreuses pour que je les referme.
Le stress m’envahit comme un raz-de-marée et me paralyse. La clarté qui dirigeait mes actions jusque là n’est qu’un souvenir. A-t-elle jamais été là ?
Le temps file et dans ma tête se bousculent toutes les tâches dans le désordre: je dois faire ça. Et ça. Et ça. Je n’aurai pas le temps. Je n’arrive plus à établir mes priorités. Tout se superpose. Tout a la même importance. L’argent, l’art, l’amour, le sommeil, la curiosité, la notoriété, l’image, le sens, tout se mélange et résulte en mon inaction.
La spirale de mes désirs agitée par la cascade du temps.
Le seul moyen d’en sortir, après deux heures à regarder à l’intérieur de mon crâne, à me heurter aux murs de ma panique, c’est de choisir. Tirer dans le tas au hasard et attraper par le pied le premier truc qui tombe, le retenir, l’arracher au brouhaha et le clouer sur ma page.
J’écris.
J’écris avec la peur chevillée au ventre. L’écho de chaque seconde m’assourdit. Je veux aller vite. Je veux aller bien.
« Écris, écris, écris », m’a enjoint la shamane que j’ai rencontrée à Paris, qui a joué du tambour au-dessus de mon corps pendant une heure, de 11 à 12, encadrée par les cloches de l’Église au bout de sa rue.
Écrire c’est mon véhicule. C’est mon chemin. C’est ma vocation.
En écrivant, j’aime, j’élève, je transmets.
Le temps file encore mais mes mots s’arriment aux minutes. Le temps n’est plus vide. Il trace son empreinte.
A quoi bon ?
Libéré d’une spirale, j’ouvre le champ à la suivante. La peur n’a pas dit son dernier mot. Vaincue sur le front des heures, elle attaque sur celui du sens et de la finalité.
A quoi bon écrire ? A quoi bon blogger ? Pour qui, pourquoi ?
Quel est le sens d’une fleur ?
La formule magique offerte par Lawrence pour un prix dérisoire.
Quel est le sens d’une fleur ? c’est faire naître une pluie de pétales sur mon clavier et c’est me rappeler que la question du sens est le plus court chemin vers la folie.
« La magie », me dit la shamane. J’entends « l’âme agit ». C’est la même chose. La magie de la vie c’est que le chemin nous est indiqué.
« Pourquoi » n’est pas la bonne question. « Comment » en est une bien meilleure. Comment vais-je m’y prendre pour suivre le chemin en lui faisant honneur ?
J’écris. Mes peurs. Ma peur du temps qui s’écoule et des minutes qui m’éloignent de ma vocation, à cause de l’argent et de la paperasse administrative.
Et puis tout me revient soudain: ce n’est pas un sacrifice, c’est un investissement. Tout miser sur ma vocation, sur mes relations, sur mon fils, au détriment parfois d’un certain confort, au détriment des distractions légères que le monde m’offre, c’est placer mes ressources dans l’avenir.
Ça peut ne pas marcher
La peur me dit: « ça ne marchera pas ». Je peux investir mon temps et faire un flop. Ne toucher personne, n’intéresser personne, passer à côté du potentiel d’une idée. Je peux.
Le but n’est pas que ça marche. La réussite, l’échec, ce sont des notions secondaires. Des effets collatéraux de l’acte créatif. Ce qui importe c’est le dépassement de moi, c’est le fait que je cherche sans cesse comment aller plus loin dans ma perception du monde et sa restitution. Ce qui importe c’est que je devienne de plus en plus en plus efficace dans ma technique. Plus précis. Plus audacieux.
Si je peux changer des vies. S’il y a une chance que j’encourage mes lecteurs à aimer mieux, à être plus bienveillants envers eux-mêmes et les personnes qui les entourent, alors je dois continuer. Peu importe le temps. Peu importent les sacrifices.
Ça peut ne pas marcher mais ça peut tout aussi bien marcher.
La peur reste. Elle est là. Plus sourde. Plus calme. Apaisée je crois, mais toujours présente. La peur me guide. Elle me rappelle que je suis en équilibre sur le fil de la vie et que mes décisions ont un impact. Sur moi, mais aussi sur le monde.
« Le mal triomphe seulement quand les hommes de bien ne font rien » (Le Maître du Haut Château)