Qu’est-ce qui fait qu’un lieu, la première ou la millième fois qu’on y met les pieds, nous fait sentir chez nous tandis qu’un autre, où l’on habite depuis si longtemps que ses rues sont devenues une extension de nous-même, nous paraît étranger ?
Qu’est-ce qui fait que cette personne, au premier regard ou au millième, nous fait sentir chez nous tandis qu’une autre, que l’on connaît depuis toujours, nous paraît étrangère ?
Quelque chose nous échappe de ce monde. On peut étendre par-dessus toutes les soies de la Croix Rousse, dresser toutes les parois de l’entendement pour dissimuler le mystère, cette part du réel continuera de sentir la magie et la cannelle.
Le brouhaha du quotidien, le poids du matériel, la nécessité de porter sa charge mentale du réveil au coucher, les courses, les « qu’est-ce qu’on mange ce soir ? », les impôts, ont une facilité désarmante à nous couper de l’essence des choses.
Le mystère qui permet à une graine, après des années de sécheresse, de donner naissance à un arbre solide et nourricier.
La pulsion de vie qui fait, grâce à quelques attentions, émerger l’oasis en plein cœur du désert.
Ou la puissance de ces liens qui perdurent malgré la distance et les années.
Ou l’évidence d’un regard échangé qui dit « je te connais » à cet inconnu.
Comment puis-je, au gré de ma discipline quotidienne, effeuiller les voiles soyeux qui me dissimulent le mystère ? Comment puis-je apaiser le vacarme des sollicitations de l’immédiat — l’urgence des autres — pour que, du silence, émerge le ruissellement discret de la Source.