Solitaire

La solitude et le silence comme vecteurs de rencontre avec soi-même.

La principale curiosité de ma vie, c’est moi-même. Pas dans un sens narcissique, mais dans celui d’une fascination pour la vie qui grouille à mon insu dans les méandres de mon corps et de ma psyché. Comment pouvons-nous être aussi étrangers à nous-mêmes ? Comment pouvons-nous créer des circonstances propices à la floraison des graines semées par la vie sur le terreau de notre intériorité ? Comment pouvons-nous plonger dans la pénombre de nos cavernes les mieux dissimulées de nos abysses et, à force de patience, y percevoir le scintillement des pierres précieuses que la pression a fabriquées ?

C’est de cette curiosité là dont je parle.

Il y a, bien sûr, mille-et-une destinations à découvrir dans le monde extérieur. Il y en a tout autant à l’intérieur. Parfois je me lasse de tourner en rond dans mon introspection. C’est le moment où je sais qu’il est temps de changer d’angle d’observation. Revenir aux sensations. Regarder flotter les émotions comme des bancs de poissons dans mon océan. Esquiver le confort de la réflexion mentale. Écouter s’exprimer le corps dans toutes ses subtiles nuances.

Solitaire par nécessité, parce qu’être entouré, c’est noyer dans le bruit le murmure de ses intuitions. C’est se distraire de ses alignements par confort et plaisir superficiel.

Solitaire, ce n’est ni introverti ni asocial. C’est faire preuve de discernement dans l’octroi de notre temps et de notre énergie. C’est préférer l’intimité à la superficialité des relations de comptoir et sans compter offrir de sa personne aux âmes qui nous mettent en expansion.

Préserver le temps de la solitude, le sacraliser, c’est en faire une priorité que l’on défendra contre les distractions et les sollicitations, parce que ce temps peut n’être pas confortable. Il peut donner l’impression d’être stérile parce qu’il ne communique pas selon les codes classiques du langage ou de la pensée. On n’y grandit pas à coup de réalisations soudaines, de grands déploiements psychiques spectaculaires, mais plutôt par petites touches fines et subtiles. C’est dans le sentiment de fluidité ou de tension que l’on apprend vers où lancer les lignes de son attention.

Agir y prend des formes diverses. Méditation, respiration, marche, écriture, dessin, contemplations du paysage, quelques lectures — mais peu pour ne pas laisser la pensée des autres nous détourner de notre justesse intrinsèque.

Au sortir de ces périodes privilégiées de la relation avec soi-même, si l’on a eu le courage de se tenir au bord du vide assez longtemps, si l’on a résisté à la tentation à la fois de la fuite et de la folie, alors il est possible que l’on émerge au monde un peu mieux en phase avec soi-même, un peu mieux conscient des forces qui nous animent. Moins arc-bouté sur des principes arbitraires empruntés à l’extérieur, et plus détendu à l’intérieur de sa singulière individualité.

De plongée en plongée, peu à peu, avec beaucoup de patience et de tolérance pour nos errements, nous nous ancrons davantage à l’intérieur de nous-même, nous nous estimons mieux, nous nous suffisons mieux, nous avons moins tendance à vouloir justifier de notre temps sur Terre.