Pendant longtemps, le monde rêvé n’est que ça : un rêve. Une fantaisie de l’imagination. On se dit « ce serait comment si… » ; « ce serait bien que… » ; mais ça n’a aucune portée. Ce sont des mots, des fictions. Elles sont peut-être réconfortantes et belles mais on ne se fait pas d’illusion, on sait bien qu’elles n’existeront pas. Comment le pourraient-elles ?
Puis arrive un événement.
Ça peut être n’importe quoi. Une rencontre, un nouveau job, un stage, une récompense ou un monde qui se met à l’arrêt. Et tout à coup l’histoire que l’on se racontait, celle qui disait « c’est impossible », cette histoire qui nous protégeait de nos espoirs les plus fous, cette histoire s’écroule. On l’a, notre monde rêvé. On le vit. Ça peut durer une minute ou un an ou trois ou dix, et on réalise que non seulement c’est possible mais on y est, on est en train de la vivre, notre vie idéale.
Ce n’est pas une image. C’est littéralement ce qui nous arrive. On a du mal à y croire au début, ça demande une petite adaptation, on en teste la solidité, et puis ça s’impose à nous : c’est réel. Notre sens de la réalité se fait plus vaste. Il intègre ce que l’on pensait autrefois impossible.
Et puis…
Et puis on le perd.
Le monde reprend sa course, la mode change, les gens partent, ou meurent, ou disparaissent, ou se lassent. On se retrouve comme au début, avec le rêve d’une autre vie.
La différence, elle est majeure, c’est que cette autre vie n’est plus seulement un fantasme. C’est devenu une possibilité. C’est devenu un moment précis de notre expérience. Quelque chose que l’on a vécu et qui nous a été retiré, ou qu’on a perdu. Là, ça devient tragique. Ce qui nous donnait de l’espoir, une destination vers laquelle tendre, devient le souvenir amer de ce que l’on n’a plus.
Pire, quand il est évident qu’on n’aura plus accès à ce qui nous a été donné, il n’y a plus qu’à vivre avec le manque, avec le vide que cause la disparition de ce qui donnait le plus de sens à notre existence.
Comment se remet-on de ça ?