J’ai peur quand même, un peu. Surtout en début d’aprem. C’est peut-être une histoire de nutrition ou de rythme circadien.
Je m’efforce de me rappeler que c’est ok d’avoir peur. C’est le coût et le contrecoup de l’incertitude, la peur est une compagne de la vie créative. Parce que créer c’est chercher comment se surprendre, se réinventer, trouver les interstices inexplorés de son propre imaginaire.
C’est, en clair, privilégier toujours l’inconnu plutôt que le familier.
Nous sommes programmés pour nous méfier de l’inconnu, pour le craindre. Simple question de survie: dans les broussailles de la jungle se cachent les prédateurs, or la vie ne veut qu’une chose, vivre. CQFD.
La théorie veut que les artistes (au sens très large du terme) soient les descendants des chasseurs préhistoriques. Les chasseurs allaient délibérément face au danger pour nourrir la tribu, sans doute pas par altruisme, sans doute plutôt par goût de l’adrénaline et du challenge.
Je la pose là comme ça, cette théorie, parce qu’elle est chargée d’histoires potentielles.
Il reste que le début d’après-midi est plus difficile. Et le soir aussi, quand j’arrive au bout de ma réserve d’énergie de la journée et que je vois tout ce qu’il me reste à faire pour arriver à destination
Destination: un horizon sans cesse repoussé d’accomplissement personnel. Mon plan de vie a comme échéance mon dernier souffle.
De quoi as-tu peur ?
De tout. De ne pas y arriver. De ne pas supporter la longueur du chemin. De baisser les bras avant l’heure. De me résigner. De succomber à l’attrait de la vie confortable. De préférer le brillant à la frugalité, l’urgent à l’important.
Mais c’est passager. Après, mon corps se recharge et mon cerveau se remplit de bonnes substances et il redémarre. Finis les doutes, finie la peur.
Je ne l’écris ici que parce que c’est quelque chose dont on ne parle pas. Ou quand j’en parle, comme quand je parle de ma mélancolie ou de ma tristesse, il y a toujours quelqu’un pour vouloir m’en guérir, comme si c’étaient de mauvaises émotions.
Elles ne sont pas mauvaises. Elles apportent de la richesse et de la diversité et de la nuance à ma vie. Elles éclairent mon écriture et mes relations, les enrichissent. La peur me permet de rester alerte. La peur de la résignation me rappelle que c’est important pour moi de ne pas me résigner.
Parfois c’est difficile parce que la vie continue avec le poids de l’angoisse. Mais, hey ! La vie continue et c’est miraculeux.
La peur, la joie, la tristesse, la colère nous livrent de précieux indices sur nos valeurs et nos besoins. C’est aussi ça, vivre, le mouvement perpétuel et la redéfinition du monde autour de soi et de soi dans le monde, une forme d’évolution neutre pour le monde, chargée de sens pour nous.
Les émotions sont nos guides à l’intérieur de cette évolution. Elles nous disent ce qui nous convient et ce qui ne nous convient pas, ce qu’il faut laisser filer et ce contre quoi il convient de s’exprimer. Pour son propre alignement interne.
Quand j’écris « j’ai peur quand même », j’exprime le fait que même si je comprends l’utilité de cette peur, sa présence réveille en moi un besoin de réassurance, comme dans mon rêve de la nuit dernière, où Marie m’enveloppait de ses bras et de baisers posés sur mon crâne.
Alors c’est important, oui, de reconnaître le rôle de ses émotions et de ne pas les chasser. Et c’est tout aussi important d’écouter ce qu’elles nous font et de répondre aux besoins qu’elles font surgir.
Besoin d’isolement, besoin de partage, besoin d’élever la voix, besoin d’enveloppement.
Le message ne va pas sans l’émotion, qui ne va pas sans son exigence d’accueil. Comment pourrais-je entendre le message de l’émotion si je ne la laisse pas vivre en moi ?
J’ai peur un peu, quand même, de ne pas y arriver, parce que c’est important pour moi de faire plus que ce dont je me crois capable. Et là, tout de suite, j’ai aussi besoin de courage.