Une tempête se prépare. Tous les marqueurs sont au rouge. Nous alertons la population: laissez tout, quittez vos maisons, réfugiez-vous dans les abris et les caves. Je frappe à la dernière porte de mon secteur. J’escorte une vieille femme jusqu’à son sous-sol. « Avez-vous tout ce qu’il vous faut ? »
Elle s’installe dans un fauteuil en souriant.
– Oh, ne vous en faites pas pour moi, c’est ma centième tempête. Je suis rodée.
L’abri est meublé avec goût. Il est chaleureux, confortable. Des livres occupent les murs, des tapis recouvrent le sol. Il contraste avec l’appartement spartiate.
– Quand tout peut vous être arraché en une nuit, vous apprenez à vous contenter de peu, m’explique-t-elle.
– Vous descendez souvent ici ?
– Seulement en cas d’alerte.
– L’abri est plus confortable que votre appartement.
– C’est trop étroit. Vous verrez, je serai la première dehors à la fin de l’alerte. Je danserai dans les flaques et je frissonnerai dans le vent frais avec le sourire. Mais allez vite vous mettre à l’abri vous aussi !
De retour dans la rue, je m’accoude au toit de ma jeep de fonction. Le vent tiède balaye déjà les rues et emmêle mes cheveux. Le ciel se replie sur lui-même en de gigantesques poings d’un noir profond. En tendant l’oreille, on peut percevoir le grondement de la tempête qui se prépare à dévaster la ville.
C’est la grande purge de la nature.
Elle a commencé avant ma naissance. J’ai entendu les histoires du monde d’avant, quand les hommes dominaient le monde. J’ai du mal à croire à ces légendes. Aujourd’hui, nous sommes les jouets de la Nature, de simples pantins qu’elle démembre sur un caprice.
Nous sommes en guerre et nous sommes les assiégés.
Tout le monde ne parle que de la destruction et la terreur. Tout le monde vit dans l’effroi mais moi je n’arrive pas à voir autre chose que de la Beauté. Pas dans la mort mais dans les couleurs que prend le ciel, dans la caresse du vent sur ma peau, dans l’effondrement des nuages. Et les parfums. L’humidité, l’ozone, la terre mouillée qui exsude ses arômes les plus secrets.
Le vent secoue les arbres comme de simples gerbes de blés. Je souris et monte dans la voiture. Les éoliennes embarquées rechargent la batterie à l’infini. Maintenant que tout le monde est à l’abri, je vais avoir besoin de toute l’énergie possible. Pendant que tout le monde attendra, réfugié sous terre, que la nature cesse sa purge, je serai dehors à embrasser les éléments. La tempête que tous redoutent et fuient, je l’attends et cours à sa rencontre.