Deux Julie. Deux anniversaires. Le 6, puis le 7 juin. Des dates, comme ça, se sont gravées dans ma mémoire. D’autres, comme l’anniversaire de ma mère (le 14 ou le 16, je dois faire un effort pour le retrouver chaque année) ont eu plus de mal. Étrangeté des connexions neuronales. Comme « jambon » et « fromage », deux mots qui s’intervertissent souvent malgré moi dans ma bouche. Je sais bien à quoi chacun correspond mais mon cerveau, lui, semble l’oublier.
Ça me plaît, ces étrangetés. Ces bugs dans la machine.
Je ne voudrais pas les réparer.
Pas plus que je ne voudrais changer les vagues qui font onduler mes humeurs. Hyper actif, puis anxieux, puis serein, puis déprimé, mélancolique, euphorique, énervé que les choses n’aillent pas plus vite, plus loin, plus fluide, plus fort.
Intensité variable de mon rapport à la vie, lui donne ses couleurs comme on rosit des joues.
À notre époque obsédée de normalisation, on étiquette tout et tous. Les légumes n’entrent dans les cagettes que calibrés (au rebut les légumes difformes), les humains n’entrent dans la société qu’étiquetés. Plutôt que de célébrer le nuancier humain, on le stigmatise. On donne un nom à tout. On pathologise. On donne des drogues pour équilibrer les états psychiques et lisser l’expérience du monde.
Beurk.
Les sociétés sont de gigantesques machines à uniformiser.
Je rêve d’utopies anarchiques où toutes les formes d’esprit auraient leur place.
L’angoisse de l’altérité, la haine du chaos, la peur de l’imprévu, de l’imprévisible, de l’inconnu, poussent les sociétés — toutes les sociétés — à resserrer les murs. Naturellement, organiquement, le social finit par contraindre. C’est sa fonction. Je nuance : sa fonction, c’est d’unifier, de permettre de fonctionner ensemble. Inévitablement des tensions naissent entre les êtres. Pas forcément graves. Parfois ce sont des désaccords sur la forme. La société (en tant que concept) cherche la perfection, l’unité absolue. Inévitablement, elle doit pour y parvenir gommer les aspérités. La tentation totalitaire est inscrite dans le principe même de société. Puisque la société édicte un « rang », on souhaite y faire rentrer les membres de la société.
C’est naturel.
Se pose la question de comment exister différemment à l’intérieur de l’impulsion normative qui sous-tend la société ? Est-il possible de tracer sa propre route sans s’exclure du social ? Jusqu’où accepte-t-on le compromis ? La société n’est pas qu’un ensemble de contraintes sans contreparties. Que valent ces contreparties ? Quelle valeur offrent-elles à l’individu ?
La bourgeoisie (comme archétype) se construit dans le rang. La société est à son service. C’est la bourgeoisie qui détermine l’axe normatif du social. S’éloigner de cet axe, c’est se distancer de l’éthique bourgeoise. Deux voies sont possibles : l’une tend vers l’aristocratie. L’extrême richesse du rentier le libère de l’asservissement normatif. L’autre tend vers l’exil. L’extrême marginalité de l’errant constitue une autre forme de libération de ce même asservissement.
Par essence, la société séduit. Elle fait miroiter ses atouts : en son sein se trouvent la sécurité et la promesse de confort. Hors d’elle, c’est la sauvagerie et la barbarie. L’état de nature est un état chaotique rempli de bêtes menaçantes. Quitter la cité c’est s’exposer à la certitude d’une mort brutale et imprévisible. Au moins, dans les murs de la cité, la vie est prolongée. On meurt dans le confort de son lit, abruti de psychotropes sédatifs.
Silo, la récente série d’Apple TV explore précisément ces questions.
On y trouve des échos de la caverne platonicienne et du Truman Show.
Ce n’est pas le traitement théorique de ces questions qui m’intéresse mais leur mise en application sur la durée d’une existence. Quand la majorité des discours pérennisent sans le questionner le noyau de la société d’où ils émergent, où se trouve la vraie liberté ? Est-elle seulement possible ?
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