Randomness #004

On a retrouvé une vieille carte au trésor au fond d’une épave, protégée de l’eau et du temps par un écrin de verre. La carte est codée mais la chasse est lancée. Quiconque retrouve le trésor peut le garder.

Les trois sens du terme

« Quand tu n’es pas là, c’est une perte de sens, dans les trois sens du terme »

Le sens comme sensation, comme frisson, comme caresse tout autant que comme uppercut dans le ventre, où se cache le noyau de l’être, qu’il faut choquer parfois pour qu’il reparte, qu’il se remette à vibrer.

Le sens comme direction, comme indication du chemin à emprunter, comme un doigt tendu, pointé vers soi et vers sa propre réalisation. Quand les signaux-néons clignotent pour dire: « c’est par là ».

Le sens comme signification, comme raison d’être, comme dévoilement du monde et de la destinée, parce qu’exister sans savoir pourquoi, cela n’est pas vivre.

J’en ajoute un quatrième: le sens comme organe de perception. Parce qu’avec toi, je ressens le monde, je le sens à nouveau, c’est-à-dire nouvellement (une nouvelle fois et de manière inédite).

Mécénat

anael verdier

Je devais avoir huit ou neuf ans la première fois que j’ai entendu parler des mécènes, ces créatures mystérieuses grâce à qui l’art arrivait. Il m’a fallu quelques années pour comprendre que les mécènes étaient simplement des gens qui achetaient leurs oeuvres aux artistes mais il ne m’a fallu que quelques secondes pour sentir que je voulais devenir mécène.

J’ai cru, parce que c’est comme ça que les histoires mes les ont présentés, que les mécènes étaient des personnes affluentes, qu’ils étaient assis sur des montagnes d’or dont ils ne savaient quoi faire. Si certains mécènes étaient sûrement très riches, je suis convaincu que la plupart ne l’étaient pas. Ils avaient simplement un peu d’argent à dépenser et choisissaient de s’offrir un portrait, un livre, une participation à la vie artistique.

Au lycée, j’avais un ami dont la famille était riche. Il y avait un cagibi dans sa maison, une petite pièce de deux ou trois mètres carrés, dans laquelle s’entassaient des toiles.

Le mécénat peut être envisagé de deux manières: par amour de l’art ou comme tactique de défiscalisation.

Depuis plusieurs années, cette idée d’être un mécène revient me chatouiller les moustaches. « Quand j’aurai de l’argent », je me disais. Alors je dépensais de l’argent dans des cours qui me permettraient de gagner l’argent que je pourrais ensuite utiliser pour financer des artistes.

Et puis j’ai compris.

Je n’ai pas besoin d’être riche pour financer des artistes. J’ai juste besoin de repenser mon budget. Dans les règles de vie que j’ai édictées au passage de mes trente ans, il y a celle-ci: être plutôt qu’avoir.

Pourtant, je continue d’accumuler des possessions matérielles (moins qu’avant, mais je continue quand même), d’être attiré par les magasins avec leurs objets qui brillent et qui m’appellent « Achète-nous, achète-nous! »… surtout quand c’est pour Seth ou pour mon entreprise.

Une photo originale d’un bon photographe contemporain coûte entre huit-cent et mille cinq cents euros, disons mille deux cents pour simplifier. Vous ne pensez pas pouvoir choisir de mettre cent euros par mois de côté pour permettre à un photographe de vendre une photo de plus cette année ?

Vous dépensez pourtant facilement 3,33€ par jour de manière inutile (oui, ça fait 100€ dans le mois, juste 3,33€ de dépensés en moins chaque jour, pendant un an)

A la fin de l’année, je serai heureux d’avoir une photographie originale alors que je regretterai les trois cent soixante cinq cafés industriels, les deux cent pains au chocolat, les deux-cent quarante bières, les cinquante redbulls… Ou pire: je les aurai oubliés.

Si nos vies sont la somme de nos souvenirs, notre argent ne devrait-il pas aller à des choses (objets, expériences…) dont nous nous souviendrons et qui aideront un artiste à continuer son art ?

L’an dernier, j’ai investi quatre-vingt euros (88!! c’est rien, 88€!) dans la campagne Ulule de mon amie Cécile. Aujourd’hui, ses photos sont exposées à Paris. Qu’aurais-je pu faire de mieux avec mon argent ?

Nous avons besoin d’art et de culture et nous pouvons tous participer à leur existence en coupant l’herbe sous le pied des intermédiaires. Directement du public au créateur et du créateur au public. Parce que les grands groupes n’ont pas à nous dicter ce que nous devons lire, écouter, regarder, aimer. Parce que la valeur de l’art est dans le regard de celui qui le reçoit.

Il n’y a jamais eu de meilleure époque pour être mécène.

Rentrer chez moi

Je suis parti pour une semaine à Toronto.

Je m’y suis senti chez moi. Ces cinq années montréalaises que j’ai vécues il y a quinze ans ne m’ont jamais laissées et le sirop d’érable coule encore dans mes veines. Les parfums, la densité de l’air, l’orthogonalité des rues et des trottoirs, les couleurs, les sons… Autant de détails qui m’ont indiqué: tu es chez toi, bienvenue à la maison.

Sur le paillasson de la maison où je louais une chambre: « you’ve arrived ».

Je me sentais en sécurité dans cette ville que je visitais pour la première fois. Parler anglais, entendre parler anglais, cela contribue à mon sentiment de paix. J’ai associé à cette langue, cela va sembler étrange, une personnalité bien plus proche de l’individu que j’aspire à être que celle qui me vient quand je parle français. Ma théorie est celle-ci: nous associons un usage du langage, des tics de pensées à chaque langue. J’ai appris l’anglais pour développer mes compétences professionnelles, une certaine notion de la productivité, de l’abnégation, de la réussite. J’ai assimilé tout un vocabulaire, une tonalité, qui me rendent plus « grand » lorsque je parle anglais.

Est-ce étrange ?

Je suis parti sans faire de plans. J’assistais à une conférence le premier weekend, mais pour le reste de la semaine, je suis resté ouvert. Résultat, cette ouverture m’a rendu adaptable. J’ai rencontré du monde lors de la conférence, et me suis fait de nouvelles connaissances, des amis sans doute pour certains d’entre eux.

Rentrer, samedi dernier, a été douloureux. J’avais envie de rester.

Je suis passé par Paris, chez Laurent, chez qui je trouve toujours un havre de sécurité et de paix. C’était une transition nécessaire mais au bout de deux jours, j’ai eu envie d’être chez moi. Mon fils est avec sa mère. J’allais me retrouver seul.

Paradoxalement, j’appréhendais cette solitude davantage que l’idée d’être seul à Toronto pour une semaine. Celle-là, j’y aspirais. Toujours ces habitudes. Notre maison de Bordeaux est remplie de la présence d’Othis. Ses jouets traînent partout et il y a son rire qui résonne entre les murs, et ses petits pas que je m’attends à entendre à tout moment.

Mais quand je suis arrivé, quand j’ai poussé la porte, je me suis senti accueilli. Il faisait frais, l’air sentait bon, et j’ai retrouvé cette maison qui est la mienne.

Cet été, à six mille kilomètres de distance, je suis rentré deux fois chez moi.