« Visionnaire » est souvent employé comme un vague synonyme de « devin ». Est visionnaire l’inventeur qui a prédit les technologies d’avenir, ou le sociologue qui a perçu une évolution majeure de la société.
Mais le visionnaire c’est d’abord quelqu’un qui est mû par une vision. On est visionnaire quand notre zone de génie se révèle dans la matérialisation d’une réalité que nous avons inventée. Toute chose créée par une main humaine a commencé comme une vision. Quelqu’un l’a d’abord rêvé puis, guidé par ce rêve, a réuni les ressources pour le réaliser.
J’ai réalisé que la raison pour laquelle je n’ai réussi à garder aucun job sans a) me disputer avec les personnes en charge ou b) claquer la porte, c’est parce que je préfère mettre mon temps et mon énergie au service de mes propres visions. Ça peut être un livre, un atelier, un voyage… Je m’épanouis quand je porte un projet, mon projet, et être aux prises avec les obstacles qu’il soulève, développer les ressources pour les dépasser.
Longtemps j’ai cherché des raisons à mon incapacité à trouver une place dans le système social (scénariste avec les producteurs, romancier avec les éditeurs, formateur avec les écoles). J’alternais entre « le système est pourri » et « je suis pourri ».
Depuis que j’ai identifié ce moteur intérieur : je vis pour imaginer des projets et les réaliser, je comprends que ni le problème ni moi ne sommes pourris mais qu’aucun « job » ne pourra nourrir mon besoin d’être en charge à la fois de la vision et de sa réalisation. Je n’ai pas assez d’affinité avec la vision des autres pour me satisfaire d’y contribuer.
Ce que je veux, dans ma vie, c’est porter le projet du début à la fin et aider d’autres porteurs de projets à le faire pour leur propre vision.
Le choix de l’indépendance n’est pas tant celui d’une supposée liberté mais une manière pour moi de créer les conditions de travail et de vie qui collent le mieux aux leviers de mon bonheur. Si, chaque jour, je peux travailler à la fois à préciser ma vision (ce que je veux faire exister dans le monde) et travailler à sa réalisation, alors je serai le plus heureux des hommes.
Et cela, après de longues heures passées à tenter de le faire, je n’y parviens pas en travaillant pour les autres. Il y a toujours un moment où les limites de leur projet (légitimes, ces limites, puisque c’est leur projet) se heurtent à ma propre créativité. Ce n’est pas que je veuille m’approprier le projet des autres, c’est que j’ai le réflexe de construire ma propre version de leur vision. Alors ça se heurte et ça crée des frictions.
C’est mieux pour ma vie sociale, pour mon équilibre émotionnel et psychique, que je continue à travailler dans mon coin, en totale indépendance et avec un maximum d’autonomie créative.
Il est long le chemin de la connaissance de soi et chaque éclair de compréhension ouvre de nouveaux champs d’expérimentation. En cette fin d’année 2022, je cloture deux années d’une de ces expériences. J’ai travaillé pour d’autres. J’ai voulu tester ma « maturité ». J’ai rencontré une résistance (interne) qui m’a surpris. Je l’ai sondée, interrogée, scrutée sous tous les angles avant d’en faire sens : l’indépendance me convient mieux à cause de cette particularité de mon épanouissement.
Lutter revient à faire le jeu d’un système qui promet, au sacrifice de sa vie, de nous amener exactement là où nous pouvons déjà être, comme dans l’allégorie du pêcheur mexicain.
Un pêcheur mexicain prend le soleil au bord d’un lac. Sa ligne dérive doucement sur l’eau calme. Un touriste américain s’approche. Après quelques salutations d’usage, l’Américain dit au pêcheur : « vous devriez acheter une autre canne à pêche, comme ça vous pourriez pêcher le double de poisson, garder pour vous la pêche initiale et vendre le reste. Avec l’argent, vous pourriez acheter d’autres cannes et embaucher d’autres pêcheurs. Rapidement, le profit sera suffisant pour que vous investissiez dans une barque. Vous pêcheriez plus de poissons si vous étiez au large. Continuez comme ça et dans dix ou vingt ans, vous aurez une flotte de bateaux sur l’océan et un réseau de distribution international.
Le pêcheur l’écoute poliment et quand l’Américain termine, demande : « Pourquoi je ferais ça ? »
Alors l’Américain répond : « Pour pouvoir prendre votre retraite et vous installer au soleil au bord d’un lac pour pêcher tranquillement ».
Je n’ai pas envie de passer ma vie à prendre des tours et des détours pour vivre ce qui me fait vibrer. Je n’ai besoin que de projets et des moyens de les réaliser.
Et vous ? Quelle réalité sur vous-même pouvez-vous dévoiler cette semaine pour vous aider à trouver votre voie singulière d’épanouissement ?
visuel par Tithi Luadthong via Depositphotos.