Je n’ai jamais trop tenu en place mais il est des grandes marées existentielles qui balaient tout sur leur passage et demandent une reconfiguration profonde de soi. Il ne s’agit pas de forcer la réinvention mais d’entendre quand le corps parle (pour moi ça passe toujours par le corps) et quand les désirs évoluent. Je m’enferme facilement dans des visions figées de mon identité (« je suis citadin », « je suis solitaire », etc.) et m’interdis malgré moi d’entendre quand des éléments de moi évoluent. Ça se déplace dans mon horlogerie interne et je dois l’entendre.
Mais comment ? Pris dans le mélodrame du présent, malmené par les tempêtes du quotidien (il en faut des tempêtes pour échapper à l’ennui), je m’accroche à ce que je peux : les bouées du passé, les balises de l’avenir. Je m’égare dans des montagnes de livres destinés à faire office de lampes torches dans la pénombre de ma confusion. On me croit torturé, c’est juste que je suis exigeant. Je ne veux pas vivre à moitié mais je me surprends souvent à le faire. Trop complaisant ou trop fainéant.
On me demandera à juste titre ce que signifie « vivre à moitié » et je répondrai à côté, parce que je n’en sais rien. C’est plutôt la sensation de passer sans cesse à côté de mes ambitions. De ne pas être assez à ce que je fais. D’être, en un mot, humain, sujet à des humeurs, des préoccupations — est-ce que vivre en entier ce serait n’être jamais préoccupé ? C’est absurde.
Reformulons. C’est moins vivre à moitié le problème, c’est que je tombe régulièrement à côté de la cible que je vise. Bon, aussi, j’en vise plusieurs, mais ça n’explique pas tout. J’aime avoir une vie plurielle, poursuivre plusieurs centres d’intérêt en même temps, avancer sur différents axes.
Une partie de mon insatisfaction vient de mon manque d’alignement entre mes priorités et mes attentes. Prenons un exemple : si mes pensées et mes actions sont concentrées disons sur ma vie de famille, je vais y investir plus d’énergie de d’attention que dans les autres domaines de ma vie. Et si je mesure mes résultats sur, disons, ma vie professionnelle, sur laquelle je mets moins d’attention et d’implication (cf mes priorités), ça va créer une dissonance. Je veux des résultats sur un truc sur lequel je ne travaille pas, ça ne marche pas.
Quand j’avais l’impression de « vivre à fond », ce n’est pas que j’atteignais plus souvent la cible, c’est que je regardais la bonne cible. Pour étendre la métaphore : quand je me concentre sur ma vie de famille, c’est dans cette cible que je plante mes flèches. Alors quand je regarde la cible de la vie professionnelle, je n’y vois pas de flèches. Et je me sens nul, parce que je calcule mon score à partir de la mauvaise source.
Quelque chose comme ça. La métaphore est dégueulasse mais ce n’est pas le propos. Le problème avec les transitions, c’est que notre regard change de cible mais nos mains visent toujours la précédente. On ne réévalue pas ses priorités, on veut aller trop vite. Le cerveau est comme ça, il bondit d’un truc à l’autre sans se demander si le corps suit et après il râle quand tout ne s’enchaîne pas de manière fluide.
Alors :
* Quelles sont les priorités ?
* Mes actions vont-elles bien dans ce sens ?
* Comment je mesure mes résultats ?
* Quelles anciennes unités de mesure je peux abandonner pour refléter mon évolution ?
Moi non plus je n’aime pas le style très manuel d’entreprise de cette liste, ça manque d’élégance. À son crédit, c’est un questionnement efficace. Et il paraît que je dois assumer ma recherche de productivité et d’efficacité, alors voilà : j’assume.