Chaque début d’année nous franchissons la frontière entre le passé et l’avenir. Ces deux jours suspendus entre deux ans sont les douaniers temporels qui tamponnent le passeport de notre existence: « Quel est l’objet de votre séjour ? »
« Je veux juste traverser 2018 et arriver à la prochaine frontière en étant mieux équipé et mieux entraîné pour atteindre mes rêves »
Quels rêves ?
Je ne sais plus. Ce ne sont pas vraiment des rêves d’ailleurs, parce que j’ai oublié comment on faisait pour croire que les choses pouvaient être inatteignables. Ce ne sont pas non plus des objectifs, tous ne sont pas non plus des projets. Guillaume les appelle des visions, comme des hologrammes programmés pour guider notre marche dans les couloirs mal éclairés de l’existence.
Je ne ressens plus le tiraillement de l’envie au sens où rien ne manque réellement à ma vie. Pour la première fois depuis toujours je me surpris à marcher vers mon bureau en me disant: « je pourrais encore faire ça dans cinq ans sans me sentir paniquer ». Je ne me sens pas incomplet, je ne me sens pas manquant de quelque chose et c’est une sensation nouvelle et, je le reconnais, un peu perturbante.
Deux ou trois décennies à penser à ce que je n’avais pas, à ce qu’il me fallait réaliser pour « arriver » forgent un certain discours interne qui devient vite automatique et qui, en substance, dit: « Gnagnagna, ça ne va pas, Gnagnagna, ça ira quand je serai riche et libre et reconnu, Gnagnagna parce que c’est bien connu que les gens riches et reconnus ne sont pas malheureux ».
Là où j’ai merdé c’est que je me suis donné aussi l’habitude de faire ce que je voulais faire. Si je veux écrire un livre, je le fais. Si je veux organiser une conférence, je le fais. Là je voulais apprendre à chanter alors j’ai pris un coach personnel et je me suis donné douze mois pour monter une petite set list et passer un an à chanter dans des bars. Juste parce que pourquoi pas ?
Alors à force de faire ce que je veux faire j’ai appris que je n’avais qu’à insister et avoir un peu d’audace pour avoir la vie que je voulais, si bien que je n’arrive plus à croire à la voix qui râle parce qu’elle n’a pas ce qu’elle veut, et si bien qu’à chaque fois que la voix dit « je veux [tel truc] », une autre vois demande: « parfait, et tu vas t’y prendre comment pour l’obtenir ? »
Aussitôt une autre partie de mon esprit prend la parole et offre des idées d’actions, des plans, des solutions. Et quand la voix qui dit « ça pourrait ne pas marcher! » s’élève, toutes les autres se tournent vers elles et demandent « Et alors ? » parce qu’elles savent qu’on a le droit à autant d’essais que l’on veut dans la vie et que cette histoire de la première impression n’est qu’une histoire à faire peur pour empêcher l’audace.
Bon, avec tout ça, l’année neuve arrive et à part la santé et l’énergie pour continuer à faire ce que je fais déjà mais en mieux, c’est-à-dire avec plus d’ambition et plus d’audace, je n’ai rien à lui demander. Ça veut dire pas de résolution et pas de révolution. Mes priorités n’ont pas bougé, mes projets sont toujours là, en train d’avancer, et je continue d’apprendre (pour mon anniversaire je m’offre un abonnement à Masterclass plutôt qu’à Netflix).
Je veux continuer à amener mon fils à l’école le matin et à aller le chercher à 16 heures, et je veux continuer à jouer avec la créativité, et écrire des livres et toucher de plus en plus de lecteurs, un à la fois, avec des histoires qui parlent d’être adulte, de responsabilité et d’autonomie émotionnelle ; et continuer à être exigeant avec mes clients qui sont plus formidables qu’ils ne le croient, et encore plus exigeant avec moi-même, surtout quand il s’agit de prendre soin de moi, parce que sans un bon équilibre intérieur je ne peux pas offrir ce que j’ai de meilleur.
2017 a été riche et surprenante, une année dont le fil conducteur a été la reconquête de l’équilibre. J’ai aussi voyagé, du Nord de l’Angleterre aux terres enneigées d’Horizon: Zero Dawn ; des plages d’Arcachon aux paysages urbains de Blade Runner 2049 ; des rives de la Garonne aux routes périlleuses de Station Eleven.
J’aurai 36 ans cette année et je ne peux que me féliciter du chemin que j’ai parcouru jusque là. 36 ans c’est le tout début de la vie. J’ai l’impression que l’on naît à l’âge adulte au début de la trentaine. En âge d’adulte j’ai à peine six ans, je suis un tout petit, j’entre à peine au CP.
Et il y a les ponts coupés, les ponts noués, les gens qui passent, ceux qui disparaissent et ceux qui restent alors qu’on ne s’y attend pas. Et l’acceptation, enfin, qu’il est plus important d’être vrai que d’être aimé, qu’il vaut mieux passer pour un ours mal léché que l’on n’invite plus aux soirées qu’un gentil caniche qui accourt dès qu’on l’appelle ou un perroquet prêt à tout répéter pour un petit morceau d’attention.
J’ai appris que la loyauté n’est pas là où je la cherchais. Qu’il est plus important d’être loyal à celui que l’on est qu’à celui que l’on était ; voire qu’il est plus important d’être loyal envers celui que l’on sera qu’envers celui que l’on est. Et oui, souvent, cela signifie de revenir sur des engagements et cela signifie parfois de dire « je sais qu’on devait se voir mais je préfère décaler ».
Qui je veux être, j’en ai une assez bonne idée. En fait j’en ai une vision très claire. Reste à décoder les étapes, à écouter mes besoins, à me souvenir de me projeter, le plus loin et le plus concret possible. Voyager dans l’avenir et sentir le parfum des pages de mon livre à venir. Voyager dans l’avenir et sentir le vent finlandais d’un voyage futur à Helsinki, entendre ma voix qui navigue sur la mélodie avec aisance même si aujourd’hui je ne sais pas comment et je ne comprends pas et je n’arrive pas à imiter les notes de façon systématique.
Apprendre et apprendre et me souvenir que je sors à peine de la maternelle ; que je viens à peine de comprendre ce que veut vraiment dire le mot « responsable ».