Les médias ?
Les « experts » dont je lis les livres et les articles ?
Ma « culture », qui s’est infiltrée en moi à force de répétition et d’immersion ?
Quand je me perds c’est parce que j’oublie de penser par moi-même. Je me laisse séduire par l’assurance que d’autres dégagent. Mais j’ai mes propres idées.
Non, je ne crois pas que la recherche du bonheur soit un bon moteur dans la vie mais va dire ça à quelqu’un qui ne supporte pas la frustration, la souffrance. Il ne te comprendra pas. Il fera tout pour te convaincre de sa vision des choses. Il te dira « come on, it’s common sense ».
Ne cherche pas à argumenter, casse-toi. Dis « oui oui » et tourne-leur le dos.
J’écoute la vie des gens, leurs aspirations, et je me demande « est-ce que je voudrais ça ? »
99.9% du temps, la réponse est non.
Ce qu’ils mettent dans leur notion du bonheur me donne des poussées d’angoisse. It’s fine.
C’est plus pernicieux quand j’entends des choses qui séduisent une part de moi qui n’est pas celle qui nourrit mon sentiment d’accomplissement. Il y a une part de moi qui entend des trucs qu’elle trouve cool et qui dit « hey, faisons ça ». Je le fais et à la fin je me sens… vide ? pas vide, mais pas plus plein, si ça makes sense.
J’ai envie, quand je fais quelque chose, de me dire à la fin : « ok, ça, c’était important ».
Je me suis rendu compte récemment que beaucoup de gens n’avaient pas de vocation. Moi je sais ce que je veux faire depuis que je suis né. J’ai une destination claire en tête depuis le départ. Je me souviens de mon incompréhension quand, jeune adulte, je parlais avec des potes qui me disaient « je ne sais pas ce que je veux faire, il n’y a rien qui m’appelle plus qu’autre chose ».
Ils ont fini avec des jobs qui paient bien. Ils travaillent pour le gouvernement.
Je continue à faire mes petites histoires et à manger des pâtes. Je ne sais pas s’ils se sentent accomplis — on ne se parle plus. Je ne sais pas si c’est important ou pas d’avoir une vocation. Je dis juste que je ne sais pas comment c’est de vivre sans cette force qui t’appelle et qui te pousse et qui te rend malade (littéralement) si tu ne l’écoutes pas.
Ça m’a pris du temps de réaliser que je ne pouvais pas utiliser pour ma vie les outils de navigation qui ont été créés pour et par des gens qui n’ont pas cette force en eux.
Comme tu n’utilises pas une boussole si t’as un GPS, en quelque sorte. Ou, plus précis, tu n’utilises pas un tableau de bord de voiture pour piloter un A350.
Ça prend du temps — en tous cas moi ça m’en prend — de comprendre que nous ne vivons pas dans le même monde. Que certains d’entre nous n’ont pas de grande ambition. Ils se contentent de consommer le monde. Ils prennent les rêves qu’on leur donne tout fait (qui pense pour moi ?) et ils prennent le chemin qu’on leur désigne et ils prennent les marqueurs de bonheur qu’on leur indique. Ils cochent les cases et ils vivent comme ça et ça leur va. Ils n’ont pas envie d’autre chose.
C’est good.
C’est correct.
Je ne comprends pas mais je n’ai pas à comprendre. J’ai juste à me rappeler de leur demander, quand je leur parle, quel est leur modèle de réalité. Quelles sont leurs aspirations, ce qu’ils croient pouvoir accomplir dans leur vie, ce qu’ils veulent accomplir. Et décoder nos échanges en gardant ça en tête.
C’est à moi de faire ce job parce que c’est moi l’anomalie.
Ça ne s’arrête pas là. L’étape suivante c’est que tu es entouré de gens qui pensent comme toi. Là tu as l’impression que tu peux relâcher ta garde. Mais non. Parce qu’il y a des nuances.
Où que l’on soit, on baigne dans une culture qui se met à penser pour nous.
Toujours il faut s’en rappeler pour éviter d’être happé par des idées qui nous éloignent de notre réalisation la plus précise et la plus proche de ce truc qui vit en nous et dont on est le véhicule.
J’échoue continuellement à ça.
Continuellement dans ma vie j’ai jumpé d’une culture à une autre. D’un mimétisme au suivant, dans tous les domaines de ma vie.
J’aime tester des choses. Essayer des choses pour voir comment ça fait. Alors je m’intéresse à comment les autres vivent et je les imite. C’est rare que ça me plaise. Parfois oui mais avec des ajustements pour faire les choses à ma manière à moi.
Mon grand but dans la vie c’est de réussir à écrire des livres qui soient réellement uniques. Qu’on les lise et qu’on dise « ok, ça, c’est Anaël Verdier ». Qu’il y ait un je-ne-sais-quoi d’inimitable. Qu’on puisse prendre un de mes imitateurs et qu’on dise « c’est proche mais il manque … qui est vraiment la marque de fabrique de Verdier ».
Je n’ai pas d’autre façon d’essayer d’arriver à ça que d’écrire, écrire, écrire, écrire, écrire. Il n’y a rien qui m’intéresse plus. J’ai essayé plein de choses dans la vie. Et elles m’ont plu. Mais aucune ne me captive autant que cet acte incroyablement magique d’une pensée qui se construit, d’un imaginaire qui se matérialise dans une succession de mots sortis d’on ne sait où, parce que rien n’est pensé d’avance. On dirait que ça sort de nulle part et c’est (presque) structuré, (à peu près) articulé.
D’autres ont écrit sur la question, ça ne m’intéresse pas de m’attarder sur le mystère. Ce qui m’intéresse c’est de continuer mon exploration.
Quand je me demande quelle vie j’aurais envie de vivre, c’est toujours celle-ci qui revient. J’en essaye d’autres mais elles ne me donnent pas cette profonde satisfaction qui n’est pas le bonheur, qui n’est pas la joie, qui est le sentiment de faire ce que je dois faire.
Ma plus grande frustration, qui est une grande cause ma recherche de systèmes de navigation hors de moi, c’est que l’argent ne suive pas. Je rêve d’écrire et que ça suffise. Je crache contre le système mais le système n’est pas responsable. Don’t get me wrong, il exploite le travail des auteurs et il est abusif et il faut œuvrer collectivement et individuellement à l’améliorer, mais n’importe quel système sera déséquilibrer.
Le fond du problème ce n’est pas le système, c’est ma résistance.
J’ai parlé de mon inconfort à repartir en prospection. Il y a un confort dans le fait d’être en prod qui n’est pas en accord avec mes besoins et mes aspirations.
Être en prod, oui.
Faire traîner parce que je ne veux pas me retrouver à chercher ma prochaine prod, non.
Et puis je prends un plaisir secret à galérer. Plus jeune je fantasmais sur une chambre sous les toits, éclairée à la bougie et moi en train d’écrire sur un carnet, des mitaines trouées aux mains et un vieux paletot sur le dos.
Quand tu as construit cet imaginaire, quand c’est ça ton image de la réussite (romantiser la misère, la culture victorienne a bien réussi ce coup-là), ça demande un travail de restructuration profonde pour passer à autre chose.
Qui pense pour moi ?
Des fois c’est une image d’épinal à laquelle tu t’es attaché parce qu’elle a fait vibrer une corde à ton cœur quand t’étais gamin et que tu ne l’as pas jetée par-dessus bord quand tu t’es rendu compte de sa toxicité.
C’est ma next step.
Réécrire mon imaginaire.
How? Par l’action. Par le travail. Par les mots que je publie chaque jour. Par le fait de terminer ma prod et d’enchaîner avec le projet suivant. Gogogo.
Et en me coupant des influences extérieures pour réentendre la voix de cette force qui existe en moi.