Pour les vies à vivre. Pour celles que je n’ai pas vécues. Je surmonte ma peur de sortir. Je n’ai plus mis les pieds dans un train depuis 2019. C’est fou comme on oublie vite ce qui était pourtant familier. On se déshabitue. Le passé rejoint le domaine de l’inconnu. Nos nouvelles habitudes nous enferment et nous contraignent.
On oublie que le monde est vaste et accueillant. On s’enferme dans une ville, puis un quartier, puis un appartement, puis une pièce, puis on ne quitte plus sa chaise. Là, rien ne peut nous arriver. Là, le monde ne risque plus de s’effondrer. La sécurité est illusoire, bien sûr. Le monde peut s’écrouler à n’importe quel moment, que l’on flotte au milieu de l’Atlantique ou au fond de son canapé.
Comment se remet-on d’une trahison profonde. Le monde, qui nous avait semblé solide, immuable malgré ses constantes crises de surface, ce monde s’est révélé n’être pas plus stable qu’une slackline branlante. Alors on achète un billet de train. On dit « ok, pour l’inconnu ».
Pour exorciser les regrets. Pour tenir la nostalgie à distance. Pour ouvrir la porte à la mélancolie fertile plutôt qu’à l’apitoiement stérile.
Pour vivre encore.