On me dit encore naïf, ne vivant pas dans la vraie réalité, dans le monde véritable. On me dit rêveur, on me dit gamin, irresponsable. Je pense que l’on emploie, dans mon dos, d’autres qualificatifs que je n’entends pas. Je trouve intéressante cette propension de l’être humain (moi le premier) à définir comme « vraie », à l’exclusion de presque toutes les autres, la réalité qui est la sienne ou celle à laquelle il aspire, ou celle qu’il a appris à prendre comme ligne d’arrivée de ses aspirations.
Je vis dans un monde où l’univers répond aux dispositions des esprits qui l’habitent, où le monde répond aux demandes qui lui sont formulées, où la causalité n’est ni linéaire ni chronologique. Je vis dans un monde où le bonheur profond d’être en vie est une question d’être et pas d’avoir, de présence à l’ici et maintenant plutôt qu’à la réalisation d’objectifs extérieurs à soi. Je me suis égaré dans les cultures de la productivité et du manque, dans les légendes qui disent que d’autres, ailleurs, parce qu’ils semblent ne pas porter nos failles, ont mieux compris la vie et le monde que nous ; qui prétendent que les codes de réussite sociale sont une réalité universelle.
Je me suis surpris à me maudire, à m’en vouloir de ne pas être un autre, un qui ne souffrirait pas de mes blessures, qui ne pleurerait pas de mes cicatrices. Je me suis fustigé de n’être pas assez, pas encore, toujours pas, qu’est-ce que j’attends ? J’ai pensé que c’était le seul moyen pour moi de faire quelque chose de mon temps sur Terre, d’avoir une chance de laisser une trace (mais pourquoi laisser une trace ? Et pourquoi vouloir laisser une autre trace que l’impact que nous avons sur les personnes qui croisent notre route ?).
J’ai découvert plus tard, ou plutôt j’ai redécouvert plus tard ce que j’avais toujours su, que je créais mieux en étant présent à moi et à l’instant. Que la frustration, le désir d’être un autre, d’avoir fait déjà autre chose, de rêver de ce qui pouvait être au lieu d’être concentré sur ce qui était, me dispersaient, empêchaient mes efforts de porter leurs fruits.
Je suis sur la route, je continue d’apprendre, je m’égare encore souvent dans mes espoirs d’une autre vie. Par habitude, par peur, par lassitude.
Je suis naïf. Je crois que les rêves sont faits pour être réalisés, que le bonheur peut se vivre sans excès d’avoir. Je bloque du temps pour explorer les chemins qui mènent à soi, pour naviguer les eaux inconstantes de la créativité. Il en sort des livres. Il en sort des articles. Des idées, des images, et de nouveaux rêves à vivre.
Ces jours-ci, le ciel est beau, les oiseaux dessinent des tableaux mouvants, et le soleil brûle ma peau. Je prends le temps de contempler cette beauté, entre deux pages d’un livre à écrire, en me souvenant de ma chance d’être ici, dans un monde débordant d’abondance qui n’existe qu’en cet instant. Ici. Maintenant.