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Et je me suis senti bien aussi à traîner sur les pages facebook de Blanche Saint-Cyr, de Clarissa Rivière, des copines de la Musardine — j’écris copines, on ne se connaît pas, c’est juste que nos noms ont été imprimés côte à côte, que ce sont des collègues. Des paires. Enfin des autrices érotiques. Et je me suis senti chez moi en les lisant. Là où je suis heureux.

Et après j’ai écouté Le Pornographe, de Brassens, et j’en retiens cette idée qu’on écrit là où l’on se sent bien.

Hier ou avant-hier je réfléchissais à l’écriture érotique et à la différence que je vois entre l’érotisme et la pornographie, qui n’est pas dans le degré d’explicite des scènes de sexe (ça c’est la surface) mais dans le degré de vulnérabilité des personnages.

Ce qui me plaît dans l’érotisme c’est la nudité non des corps mais des âmes, la fragilité qui se révèle dans l’intime, la fragilité qu’il y a à offrir son fantasme à un autre, qui pourrait nous humilier, nous moquer, abuser de la confiance qu’on lui fait. Et qu’il y a un acte d’amour incroyable dans le fait de se faire le dépositaire du fantasme d’autrui, de le lui offrir.

Il y a quelque chose de beau et de fragile et de très humain, qu’on ne trouve nulle part aussi fort que dans la chambre à coucher, quand les rideaux sont tirés et les portes verrouillées, qu’on est à 2 (ou +) et qu’on s’offre — encore une fois pas physiquement mais qu’on offre son âme — et par âme j’entends la fragilité en soi, quelque chose comme une part de ce qui fait qu’on est nous, de ce qui fait notre individualité. Tu sais.

La pornographie ne donne rien de ça. La pornographie donne des corps qui ne s’offrent pas mais qui se consomment. On se bouffe, on se baise. Et c’est très libérateur mais ça n’a pas la beauté d’un moment érotique qui peut être très cru mais la crudité y est au service d’une ouverture de l’intime.

Et là où je trouve que c’est triste ce qui arrive avec la pornographie depuis une 20aine d’années, c’est qu’elle prive toute une génération de cet espace où le désir se construit. Moi si je voulais voir de la porno, c’était toute une organisation. Il fallait dormir chez un pote qui avait canal ou dont les parents possédaient des cassettes porno ou trouver un buraliste chez qui les magazines hot étaient accessibles.

Il y avait dans cette bravade de l’interdit — ou en tous cas dans le fait de surmonter les obstacles entre soi et la pornographie — quelque chose de très érotique. C’était moins dans le spectacle porno que se jouait l’excitation — même s’il y contribuait — que dans l’anticipation. Aujourd’hui si je veux de la porno, j’ai un milliard d’options pour y accéder en un claquement de doigt. Ça enlève cette lente montée du désir. C’est ce que racontent toutes les histoires d’adultère. Ce qu’on cherche dans l’adultère c’est à retrouver le désir dans la séduction, dans la découverte. Il arrive un moment dans un couple si on ne fait pas gaffe où le corps de l’autre devient familier, accessible. On tombe dans cette facilité qui peut être très chouette aussi mais si on ne fait pas attention à créer des espaces de désir, ce que raconte Jardin dans le Zèbre, qui est une histoire d’amour merveilleuse, si on ne fait pas attention à créer des espaces de désir, même si on continue à faire l’amour, on perd quelque chose. C’est ce que ne comprennent pas beaucoup de personnes trompées. Elles croient que parce qu’elles continuent à coucher ensemble il n’y a pas de raison pour l’autre d’aller chercher du sexe ailleurs. Ce qu’elles ne comprennent pas c’est que ce n’est pas le sexe qu’on va chercher, c’est le désir, c’est l’inaccessibilité, c’est cette tension qui précède l’acte et qui lui donne toute sa saveur.

Et la pornographie, en particulier moderne, c’est exactement ça. Dans les années 70, on avait une pornographie narrative où la création du désir avait encore un sens. Il y a de très belles histoires dans certains pornos de cette époque où on est très loin du cliché du livreur de pizza. Ça c’est une tendance plus récente, qui est en phase avec l’accélération de tout et la perte de notre capacité d’attention. Le porno des plateformes c’est directement la scène. On n’a aucune contextualisation, on ne sait pas qui sont les gens. On se rabat sur des archétypes : c’est un boss et sa secrétaire, c’est une prof et son étudiant à la fac, ce sont des voisins, etc. comme si les archétypes suffisaient à capter un imaginaire de l’inaccessible.

On fait reposer la montée du désir entièrement sur le spectateur, qui choisit de regarder un archétype qu’il associe déjà à une dimension transgressive, taboue, de son désir.

Et aussi l’offre pornographique et son hyper accessibilité posent un autre problème qui est celui de la banalisation du fantasme. On se retrouve dépossédé de ce qui nous excitait. Puisqu’il existe une niche youporn sur notre fantasme, alors celui-ci ne nous appartient plus autant. En le banalisant, on lui enlève sa charge libertaire. J’avais toute une réflexion là-dessus mais j’ai tout oublié.