Autovalidez-vous

Arrêtez de chercher une validation extérieure

Beaucoup d’auteurs se tournent vers les coaches et les éditeurs en attendant quatre mots : « votre livre est bon ».

Ce n’est le job ni des éditeurs ni des coaches de valider la qualité de votre livre. La validation vient en amont. Si vous n’êtes pas déjà convaincu de l’intérêt de votre histoire, vous aurez du mal à nous embarquer. Vous raconterez timidement et vous vendrez sans conviction.

Les éditeurs ne valident pas la qualité d’un livre, ils choisissent les manuscrits en fonction de leur ligne éditoriale et du potentiel commercial qu’ils perçoivent dans votre histoire.

Les coaches, eux, travaillent à renforcer votre autonomie en vous aidant à préciser vos outils, renforcer votre excellence technique et gagner en efficacité (pour écrire mieux plus vite).

Votre job c’est de construire votre confiance dans votre compétence et de mettre ladite compétence au service des histoires les plus singulières possible. Autrement dit : vous devez valider pour vous-même l’intérêt et la qualité de votre livre avant de le présenter à un regard extérieur.

Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas demander de l’aide pour gagner en clarté quand vous êtes dans le brouillard (et vous serez dans le brouillard). Cela ne veut pas dire non plus que vous n’avez pas de marge de progression. Les compétences, cela s’entretient et se développe. L’écriture ne fait pas exception.

D’où vient le problème ?

Le problème vient de ce que vous confondez votre manque de recul sur la forme actuelle du livre avec l’intérêt du projet. Vous vous tournez vers un « regard extérieur » avec l’espoir souvent inconscient qu’on vous dira que tout va bien et que vous n’aurez plus à nager dans la mélasse d’un projet qui vous échappe.

Quand un auteur fait appel à moi, je commence toujours par lui demander ce qu’il attend de notre travail ensemble. Si ses objectifs ne sont pas clairs, s’il me répond par des termes confus et génériques (comme « je voulais un regard extérieur »), je commence par là. Nous interrogeons sa démarche jusqu’à identifier le nœud de la confusion qui l’a amené à ma porte.

Ce que cherche l’auteur dans un « regard extérieur » c’est toujours soit la confirmation d’un point de l’histoire dont il a l’intuition qu’il ne fonctionne pas, soit le renfort de sa propre confiance dans le projet.

Aucun degré de validation extérieure ne se substituera à ce travail. Vous pouvez avoir publié dix romans chez des éditeurs prestigieux, vendu des dizaines de milliers d’exemplaires de vos livres, si vous ne croyez pas à la valeur de vos histoires, vous continuerez à douter de leur intérêt. Alors imaginez si vous n’en êtes qu’à votre premier ou deuxième livre.

Rester humble

Croire en l’intérêt de son histoire, ce n’est pas devenir cet insupportable « génie incompris » qui est le seul à percevoir son propre talent.

L’écriture est d’abord un artisanat et requiert une excellence technique lente à acquérir. C’est en écrivant, finissant, publiant, que vous apprenez à le faire. C’est en vous frottant à l’échec, à la déception d’un livre qui floppe mais aussi à la surprise pas toujours confortable d’un livre qui marche, que vous affinez votre rapport à votre travail.

Oubliez vos fantasmes de gloire et de notoriété. Écrire est un métier exigeant qui réclame votre attention, votre présence régulière, et qui met en œuvre toute une complexité de savoir-faire et de savoir-être. Vous devez avoir le sens du rythme autant que celui de la formule, être observateur de l’humain et du monde, comprendre la mécanique des émotions et les principes de la psyché, dramatiser les idées et donner sens aux actions, vous devez savoir organiser votre pensée et créer des effets, divertir sans être superficiel, être profond sans endormir. Ajoutez à ça des talents de conteur et de vendeur au moment de présenter votre livre au public et vous verrez pourquoi écrire est le métier d’une vie.

Vous ne cesserez jamais d’apprendre et de vous perfectionner, et vous le ferez d’autant mieux que vous avez foi dans votre compétence existante et dans l’intérêt de votre univers. Comment pouvez-vous être déjà compétent et continuer à vous perfectionner ? En affinant votre plume, en aiguisant vos réflexes d’écriture, en simplifiant vos méthodes pour aller plus vite à l’essentiel.

Vers une plus grande autonomie

Lorsque vous cherchez la validation, vous doutez de tout et êtes prompt à tout changer, y compris ce qui marche. Comme vous manquez d’assurance, la moindre contrariété devient la preuve que vous n’avez pas de talent et qu’une remise à plat totale est nécessaire. Au lieu de progresser, vous stagnez parce que chaque pas en avant est suivi d’un pas en arrière.

L’autonomie ne vient pas lorsque vous n’avez plus besoin de personne mais lorsque vous avez assez d’assurance pour reconnaître votre valeur pour ce qu’elle est. Alors vous pouvez cesser de tout voir en mode binaire (« j’ai du génie ou je suis nul ») et commencez à percevoir les nuances de votre compétence. Vous savez sur quels aspects de votre pratique vous pouvez vous appuyer.

Ça peut être un genre dans lequel vous êtes à l’aise aussi bien qu’une routine de travail qui a fait ses preuves pour vous. Peut-être que vous êtes super fort pour incarner vos personnages ou pour donner vie à vos décors. Vos histoires sont peut-être hyper bien structurées ou votre concentration se déclenche sur commande et rien ne peut la briser.

Ces aspects ne font pas tout mais ils constituent votre assise. Vous n’avez plus à vous prouver que vous savez faire. Quand vous avez un doute sur l’un de ces aspects, vous savez comment y répondre. Vous avez construit une méthode solide parce que vous l’avez testée et retestée et qu’elle fonctionne.

Vous savez aussi qu’il existe une myriade d’autres aspects avec lesquels vous n’êtes pas encore super à l’aise. Votre curiosité et votre passon de l’écriture vous poussent vers eux. Vous prenez des cours, vous développez des projets qui se concentrent sur ces aspects, et vous retrouvez le doute, l’incertitude.

C’est là que l’autonomie se révèle. Dans le fait que ces doutes ne remettent pas en question la totalité de votre compétence. Votre assise est solide. Votre voix est solide. Vous avez juste rencontré votre marge de progression. Vous n’avez plus qu’à fournir le travail pour la dépasser.

Ce qui rend une histoire intéressante

Souvent, en début de carrière, les auteurs sont obsédés par l’idée d’originalité. Ils cherchent les concepts les plus tordus et les plus complexes dans l’espoir de trouver une idée que personne n’a jamais eue avant eux. Ils s’accrochent à cette idée comme à quelque chose de rare et de précieux. Ils font des mystères lorsqu’ils en parlent de peur qu’elle ne s’évapore.

Ces idées sont susceptibles de s’envoler au moindre courant d’air parce qu’elles sont légères, creuses. Ce qui fait l’intérêt d’une histoire, ce n’est pas l’idée qui lui donne naissance, c’est la manière dont vous la racontez. Plus exactement, c’est votre manière de la raconter.

À l’origine de tout ce dont je parle dans cet article, dans la recherche de validation extérieure, dans la recherche de confirmation de sa compétence, dans la poursuite d’une idée originale, il y a ce même oubli : un auteur, c’est d’abord un individu singulier. Pas parce qu’il a les cheveux en vrac et qu’il paraît perché. C’est un individu singulier parce qu’il a, comme les milliards d’autres individus de cette planète, un regard sur le monde qui lui est propre, une sensibilité qui lui est propre, une excentricité qui lui est propre, des fragilités, des rêves, un univers entier de références personnelles : de gens qu’il a connus, d’œuvres qui l’ont touché, d’expériences vécues, de lieux admirés ou détestés, de cauchemars…

Ce qui rend votre histoire intéressante, c’est vous. C’est la manière dont vous voyez le monde — que vous nous communiquez dans vos histoires.

Ça ne veut pas dire qu’il vous suffit d’écrire n’importe quoi n’importe comment. Un livre est un objet complexe et minutieux qui peut cesser de fonctionner pour les raisons les plus infimes. Mais au lieu de chercher à confirmer l’intérêt de votre histoire, consacrez votre énergie à travailler sur la meilleure manière de la communiquer à vos lecteurs.

La rencontre avec le lecteur

À écouter les auteurs j’ai souvent l’impression que leur travaille s’arrête quand ils ont fini d’écrire l’histoire. Pour moi, c’est là que le travail commence. Sortir le livre, la première version de l’histoire, c’est une gestation personnelle qui relève de l’écriture intime. Quand j’écris un premier jet, je suis seul avec le livre.

Le travail commence quand je pense au lecteur. Pas en termes de « est-ce que ça va marcher ? » ou « qui ça va intéresser ? », mais plutôt pour demander : comment puis-je donner le plus de plaisir possible à la personne qui lira cette histoire ? Comment chaque instant du livre peut-il la faire voyager ? Comment puis-je suspendre le temps pour elle ?

Alors je regarde chaque scène comme une miniature, j’agence les détails, je précise mes intentions, j’affine ma narration. Je ne me demande pas si l’histoire est intéressante, je me demande comment la rendre jouissive. Quand je fais appel à un bêta lecteur c’est pour mieux tester mes effets, pour questionner sur une portion du travail à propos de laquelle j’ai un doute.

Je travaille de sorte à donner du plaisir.

Vous ne savez pas à l’avance qui lira votre livre, ni combien ils seront, mais vous pouvez préparer cette rencontre avec soin et délectation, comme vous prépareriez votre maison pour recevoir des amis.

À la question « mon livre est-il bon ? » je substituerai celle-ci : « Quelle expérience voulez-vous offrir à votre lecteur ? Quels sont les moyens à votre disposition pour le faire ? »

La seule validation qui compte

Peu importe l’avis des éditeurs, de la critique, des autres professionnels, la finalité de l’écriture c’est de faire vibrer une corde chez un autre être humain. Des cordes, il y en a plein. Certains lecteurs veulent s’évader, d’autres veulent apprendre des choses. Certains veulent être submergés d’émotions, d’autres veulent que leur déduction soit éprouvée. Certains ont envie d’inédit, d’autres recherchent la familiarité de codes qu’ils connaissent par cœur.

Que signifie le « j’aime » d’une personne qui recherche dans un livre autre chose que ce que vous y avez mis ? Si vous bousculez les codes d’un genre, tous les lecteurs d’avant-garde encenseront votre livre et ceux qui aiment la chaleur du familier le conspueront. Si vous écrivez de la romance légères, les lecteurs de littérature psychologique rejetteront votre travail.

Ce qui importe ce n’est pas qu’untel ou untel donne sa bénédiction à votre livre, c’est que votre public, celui pour lequel vous avez peaufiné vos scènes et votre narration, que ce public-là prenne du plaisir.

Cette validation est d’autant plus importante qu’elle vous conforte dans la qualité et la pertinence de votre travail. Concentrez-vous sur le fait de préciser votre vision du monde, reconnaissez et utilisez son unicité pour écrire des livres uniques. Apprenez ce qui fait vibrer votre public. Consolidez vos processus, renforcez vos outils pour aller plus vite à l’essentiel. C’est là que le fond (votre unicité) rencontre la forme (le plaisir du public).

Alors votre travail trouve son sens.