L’espace requis pour l’écriture créative correspond à l’espace requis pour entrer dans la transe.
En cours de projet, la transe est dirigée par un objet précis. On n’a pas besoin de beaucoup d’espace pour y parvenir. En atelier, c’est d’elle dont on fait l’expérience. « 10 minutes, écrivez sur [insérer le sujet du jour]. »
Entre les projets, c’est différent.
Entre les projets, le temps s’étire. Je ne sais pas par où ça va redémarrer. Je me dis que c’est fini, j’ai écrit tout ce que j’étais capable d’écrire. Je panique. Je me dis que ce n’est pas grave, j’avais envie de m’arrêter de toute façon. Je me dis qu’au moins, j’aurai essayé.
La transe prend plus de temps à venir, parce qu’elle n’a pas d’objet. Je peux me sentir en « état d’écriture », ça ne me donne pas un texte. L’état me traverse. J’ai l’impression de gâcher. Comme on jette de la nourriture parce qu’on a oublié de la manger. Gaspillage d’un cadeau précieux de la vie.
Le pire c’est quand, pour échapper à la peur et à la déception de ne plus rien avoir à écrire, ou de ne jamais réussir à « percer » (il est absurde, ce terme ; on perce un bouton, on perce un opercule, on perce un mur, on perce un ballon que l’on veut faire éclater, je ne veux pas percer, je veux construire, texte après texte, un corpus dont je sois content, dont je sois (au moins un peu) fier). Par peur, donc, il arrive que je bloque la porte et que la transe ne parvienne plus jusqu’à moi sans que de longues périodes de solitude n’abaissent mes défenses.
Trop de déceptions érode notre foi, pas notre confiance en nous mais notre foi que nos efforts puissent nous amener à destination.
Ramener l’attention sur autre chose, sur le plaisir simple des mots, sur le plaisir de la transe, sur l’immense et profond sentiment d’accomplissement qui accompagne l’achèvement d’un projet. La pratique comme se nourrissant elle-même. C’est une faible compensation mais il semble que ce soit le seul chemin valable pour revenir à l’évidence d’un projet qui s’impose.