Le travail de l’artiste c’est d’écouter. Écouter le murmure du monde. Le ressac des émotions.
De ne pas fuir la réalité. De ne pas masquer les parts plus sombres de l’existence. La tristesse, la révolte, le désespoir, l’absurde, la mélancolie sont autant matière à faire de l’art que les parts traditionnellement associées à la lumière (la joie, le bonheur, l’épanouissement, l’émerveillement…). L’artiste refuse cette distinction entre l’ombre et la lumière. Tout ce qui participe de l’existence a voix au chapitre.
Le rôle de l’artiste n’est pas de dénoncer. S’il dénonce, c’est par ricochet.
Le rôle de l’artiste est de montrer. De mettre en lumière. D’offrir un espace au vivant pour que celui-ci puisse s’exprimer. De créer du relief. De relieve (soulager).
L’art connecte parce qu’il renvoie son reflet au spectateur. Quand je pleure devant une œuvre, cela me dit quelque chose de moi, de ce qui m’émeut, de ce qui est important pour moi, de mes peurs ou de mes espoirs.
L’artiste, dans son œuvre, ne craint pas d’exposer ses vulnérabilités.
Dans sa vie, il peut vivre de manière très équilibrée (c’est même préférable pour inscrire sa pratique dans la durée), dans son œuvre, il exagère ses déséquilibres. Il insiste sur ses imperfections. Il peut être sûr de lui, son œuvre mettra en avant ses incertitudes, son côté torturé.
Ce faisant, il les dédramatise — pour lui comme pour le public.
Il crée de la distance. Il crée du sens. Il le fait en émouvant. Il travaille ses effets. Il vise une certaine réaction. Lorsqu’il la provoque, il se réjouit : son travail a fonctionné.
C’est pour cela qu’il est si souvent décevant de rencontrer ses artistes favoris. Ils sont tellement … normaux. Même ceux qui ne le sont pas, c’est un masque, un personnage qu’ils endossent pour amuser la galerie, se prenant plus au moins au jeu, faisant plus ou moins semblant.
On projette énormément sur les artistes, parce qu’on confond l’identité qu’ils rendent visibles dans leurs œuvres et leur identité propre. Disons de la globalité de leur identité dont d’immenses pans échappent à leur œuvre. N’y ont pas leur place. N’y sont pas en jeu.