Il y a une certaine dimension obsessionnelle dans n’importe quelle carrière artistique. Cet ardent désir de « percer », que ce soit en terminant son projet ou en accédant enfin à la reconnaissance qui nous semble importante — reconnaissance qui dépend de chacun et de chaque moment de vie. Cette reconnaissance, ça peut être un simple « Great job » ou le rire d’un ami pendant qu’il lit notre texte. Ça peut être un prix ou une place dans une liste de best sellers. Ça fluctue. On ne veut pas tous la reconnaissance médiatique et on ne la veut pas tout le temps.
La difficulté de nos métiers c’est la précarité des résultats. Chaque jour un combat contre nos résistances internes, contre la confusion qui accompagne chaque acte créatif, contre les sollicitations du monde extérieur, contre les plaisirs immédiats qui offrent de nous soulager de la tension qui sous-tend la création.
Créer exige de travailler sur soi tout le temps. Ce que je veux dire. Comment je veux le dire. À quelles références je m’accroche. Quelles références je lâche parce que je les ai outgrown. Comment je ne lâche rien sur mes exigences mais je lâche sur mon perfectionnisme, parce qu’il vaut mieux un livre imparfait publié qu’un livre pas publié mais il vaut mieux un bon livre publié qu’un livre médiocre publié. Évidemment, sinon ce serait trop simple, c’est subjectif « bon » ou « médiocre ».
Le même auteur fier de son premier roman le regardera avec une tendresse un poil méprisante quand il aura écrit son vingtième livre. C’est le prix à payer pour s’améliorer constamment, pour le développement de sa compétence et de sa maîtrise.
Je suis un très bon auteur et j’écris encore tous les jours de très mauvais textes. Ce qui me rend bon, c’est ma capacité à retravailler. À jeter. À ne garder que les 20% les meilleurs. Sauf ici. Ici je publie tout sans me relire. Sans trier. Presque sans trier. Il y a un peu de censure parce qu’il y a votre regard.
Chaque jour, j’ai un objectif : arracher 20 minutes de concentration totale.
Si je peux atteindre ça. Si pendant 20 minutes je peux m’absorber dans un texte à fond, y être immergé au point d’effacer de ma conscience tout ce qui n’est pas le texte, alors ma journée est bonne.
Certains jours je n’atteins pas cet objectif. Alors je suis bon à ramasser à la serpillère. Je me dissous. Je ne suis plus là pour rien. C’est un désastre.
La plupart des jours j’y arrive.
Les bons jours, je peux trouver jusqu’à une heure de cette concentration.
Les jours exceptionnels, peut-être deux heures.
C’est important parce que c’est dans ces moments de concentration-là que je progresse. Que le projet se solidifie. Que ma pratique se consolide.
Le reste du temps, je peux travailler, je peux coucher des mots. Ils n’ont pas la même précision. Pas la même force. C’est la plupart de mes mots. Ce sont ceux que je retravaille. Je ne peux les retravailler que parce que j’ai les autres, les solides.
Chaque jour, recommencer. Remettre la mise (mon temps) sur le tapis, peu importe la main qui m’a été distribuée (ma fatigue, les sollicitations externes, la clarté ou la confusion de mes idées, mes émotions, tout ce que je ne choisis pas), et espérer que j’arracherai mes 20 minutes de concentration totale.
Le reste. Le processus. La méthodologie. Les stratégies de projet. Le journal d’écriture. Le journal de bord. Même ce blog. Tout le reste est au service de ces 20 minutes, vise à les faciliter, à les rendre non seulement probables mais inévitables.
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Projet Alfred : 29 ¾ /100
Dehors : ciel bleu, bouchons attendus en fin de journée.