Si mon moi de vingt ans me rencontrait, il me mépriserait. Il ne comprendrait pas ces choses que je fais pour prendre soin de moi. Une partie de mes difficultés à être pleinement joyeux viennent de ce que je crois devoir rester fidèle à toutes les versions de moi qui ont existé.
Il y a quelque chose qui reste, comme une essence, un noyau qui ne bouge pas. Cette capacité à me percevoir. « Je ». Cette première personne, qui agit et dit son action. Mais tout le reste change. Le corps change, les besoins changent, les aspirations changent, les désirs, les plaisirs, les peines, les résistances, tout change.
Alors pourquoi cette loyauté ? Je me sens reconnaissant pour le chemin parcouru, pour chaque étape, chaque apprentissage des différents âges de ma vie mais si j’ai envie d’aller voir un match de hockey, si ça me fait plaisir, quel droit le petit con que j’étais à vingt ans, qui portait des jugements à l’emporte pièce a-t-il de ternir mon plaisir ?
Aucun.
Si le bébé que j’étais n’avait pas envie de voir le jour, quel droit a-t-il de m’empêcher de vouloir jouir de ma vie aujourd’hui ? Aucun.
Le problème, c’est que je traîne ces versions de moi comme des livres jaunissants dans le sac à dos de mon passé. J’ai tellement l’habitude de les porter que j’oublie leur présence. Mais le poids est réel sur mes épaules, il ralentit ma progression, il alourdit mes pas et fatigue mon âme.
Alors faire le tri. Regarder chaque tome, en tourner les pages, sourire ou grincer des dents à l’évocation des souvenirs qu’elles contiennent. Puis déposer le livre sur le coin de la route, avec un merci. Et déposer le suivant. Et le suivant. Jusqu’à ce que le sac soit vide. Abandonner le sac, aussi.
Je suis la somme de mes expériences et je suis aussi plus que ça. Plus large. Plus vivant. Je vibre plus fort.
C’est donc ça, intégrer ses vécus : savoir laisser à leur place les expériences du passé pour livrer l’espace à l’expression du présent.