J’aimerais avoir une idée plus claire de ce que j’écris ici mais l’existence glisse sur ses plaques tectoniques et invente une nouvelle géographie. À croire qu’une fois amorcé, le travail de transmutation de soi ne cesse plus.
L’instabilité n’est pas pour tout le monde, il faut croire. Nombreux sont ceux qui craignent le changement, qui tremblent face à la perspective de lendemains qui innovent. Je vise une production littéraire plus prolifique et pour cela je dois agir avec la détermination d’un urgentiste, pratiquer le triage sans ciller, supprimer les activités qui ne me rapprochent pas de mon horizon, les personnes qui ralentissent le bouillonnement de mon essence.
En même temps, je préserve le temps de la contemplation, du silence assis, de la proximité des arbres. Je ne suis pas à un paradoxe près.
L’enjeu de la vie est-il autre chose que l’acceptation pure de notre tempérament, de notre personnalité, de nos goûts ? Partout des prophètes du bonheur cherchent à nous dire comment bien vivre, des comités d’éthique réfléchissent aux critères d’une vie digne, noble, bonne. Nous cherchons à contrôler une force qui nous dépasse, la vie est une énergie d’expansion que notre chair ne peut qu’à peine envisager.
Dans ma quête d’une authenticité radicale, je suis tiraillé entre la recherche avide de signaux laissés par mes prédécesseurs humains et l’écoute de mon intuition, une intuition qui s’affine avec les années. Si nous sommes tous interdépendants, nous sommes aussi unique, si nous pouvons puiser à la source des sagesses du passé, nous devons aussi développer notre propre sens de ce qu’est notre existence, de ce qu’elle signifie.
À ma droite, l’école productiviste, stakhanoviste, séduit mon besoin de créer, de manipuler la matière de l’existence pour en faire autre chose, mon envie de dépasser mes instincts. À ma gauche, l’école du lâcher-prise, de la contemplation pure, de l’abandon aux rythmes du monde, séduit mon hypersensibilité et mon désir de découvrir la vérité qui vient de l’intérieur.
Ce n’est pas d’un juste milieu dont j’ai besoin, c’est d’un paradigme qui transcende la dualité de mes paradoxes, une conception de la réalité qui réunissent les extrêmes et dissolve leur apparente contradiction.
C’est un chemin qui se parcourt seul. Les autres, en la matière, ne peuvent partager que la leur, de réalité. C’est à nous qu’il incombe d’explorer les terres inconnues de notre propre monde, de cartographier notre unicité, de revendiquer nos singularités, au risque certain de provoquer l’incompréhension chez certains de nos contemporains. Au risque, surtout, d’inspirer, d’enthousiasmer, d’encourager une portion de ceux-ci à s’affranchir de la pensée commune et à découvrir leurs nuances personnelles.
Et ce risque, ce risque-là est délicieux.