Enseigner, accompagner, coacher, chambouler les paradigmes et les représentations, ça je sais faire.
Écrire des livres, je me débrouille.
Être emporté dans une passion fulgurante et créer à partir de cette énergie, c’est un vertige qui m’est familier et qui a aussi, sans doute, quelque chose de masochiste.
Il manque une dose de stimulation dans ma vie. Ou plutôt, ce qui me stimule est masqué par le voile du stress. Y arriverai-je ?
Depuis un mois, je n’ai qu’une idée en tête: finir Shaolin Lovers à temps pour le concours auquel je le destine. Les jours filent et je doute de ma capacité, je vois déjà les concessions à faire sur ma vision, les rognures sur la version idéalisée du livre.
La vie continue et le livre se glisse dans les interstices que je lui crée, cède face à l’épuisement, à la nécessité de reposer le corps et le cerveau.
J’avance, donc. Je fais le boulot. J’écris, je publie, je vends des histoires. Je consolide mon sentiment de légitimité d’auteur. Il y a ce moment de transition, où mon cœur et mon esprit sont déjà dans ma prochaine étape de vie, celle où les livres sortent et les lecteurs les achètent et où je consacre mon temps à inventer de nouvelles histoires, mais mon compte en banque et mon calendrier sont encore remplis de l’autre système, celui où je donne des cours et où j’aide les autres à réaliser leurs ambitions pendant que je m’occupe des miennes dans mes moments de libre.
Le stress vient de là, de cet écartèlement entre où je suis et où j’étais, où je vais et où je suis. La vie et son mouvement. Prendre le temps de construire, prendre le temps d’apprendre à s’écouter, prendre le temps de construire sa compétence. Je suis dans mon timing, celui que j’avais imaginé à quatorze ans, sous le toit en pente de ma chambre campagnarde.
Il y a cet escalier dans la nuit, qui peut m’amener vers une meilleure version de moi et de ma vie, plus de justesse, d’alignement, d’authenticité. Et en bas, la lumière du connu, du fréquenté, du familier, et de ce qui est facile et qui m’ennuie.
Je n’ai pas l’intention de vivre en dépit de moi-même, de m’abandonner, de préférer le confort de l’ennui au bonheur profond de l’écoute de moi, mais le chemin est fatigant. Ce n’est plus de la peur, je connais maintenant, j’ai les ressources, j’ai déjà gravi ces marches plusieurs fois. Avec cette fois peut-être une nuance, celle de ne pas vouloir repartir de zéro, de ne pas pratiquer la politique de la terre brûlée.
J’irais volontiers vivre à Singapour ou à Taïwan, juste pour me libérer du stress, pour me recentrer sur de l’urgent, celui de s’adapter à une autre vie, d’apprendre à communiquer dans une autre langue. Pas comme une fuite mais presque. La distance géographique m’a toujours aidé à prendre aussi du recul émotionnel et psychique avec les événements de ma vie. Mes changements de route se sont accompagnés de changements de lieu. Aligner l’intérieur et l’extérieur.
Mais il y a l’Enfant que je ne veux pas quitter, que je ne veux pas retirer à sa mère, elle qui ne partira pas, elle qui préfère la vie construction à la vie changement. Je suis le chaos, elle est l’ordre. Je suis le brassage et les pages tournées à toute allure. Elle est les fondations et le bâtiment construit pour les décennies.
Alors elle ne partira pas.
Patience, donc. Patience.
C’est un nouveau défi, une nouvelle stimulation : tout réinventer sans tout bouleverser.