Ample jupe en patchwork, elle ressemble à Esmeralda avec sa coiffure bouclée, sombre, et ses lèvres épaisses qui t’invitent à les mordre. Son épaule toujours nue, qu’elle ait froid ou chaud, qu’elle porte un pull ou pas. Ses pieds musclés dans leurs sandales, ses longues jambes de danseuse et son maintien altier, son port de tête, fier, sa voix rauque, profonde. Et son regard qui me cherche, me trouve, ne me lâche plus.
– Je m’appelle Rana.
Elle me parle de danse, de son corps qui vibre et qui virevolte. Je l’imagine contre moi, luisante de transpiration, de la musique en arrière plan, des bougies qui baignent la pièce d’une lumière douce.
Sur le balcon qui me semble appartenir à un autre monde, exister dans une autre dimension, j’entends Alain et ses potes rire et parler avec leurs voix graves. Je me dis « revoyons-nous », je lui dis: « c’est cool, ça fait longtemps que tu danses ? »
Je n’ai pas l’habitude de dire aux filles qu’elles me plaisent. Mon move c’est la main glissée dans le dos à la sortie d’un restau, le baiser volé au milieu d’une rue sombre, comme avec Sophie à la sortie de l’indien. Là il n’y a ni restau ni ruelle. La lumière de la cuisine est plutôt vive et je connais Rana depuis dix minutes à peine. Comment propose-t-on de se revoir à une fille qu’on connaît depuis dix minutes ?
J’ai vingt-quatre ans, je ne connais rien à la vie. Ma première histoire a duré six ans et m’a laissé de belles cicatrices en forme de points d’interrogation : c’est quoi les relations, c’est quoi les filles, c’est quoi la vie avec une autre à ses côtés ? Ce soir, au milieu de la bande de mon pote homo, je me demande si ce ne serait pas plus facile avec un homme, mais je ne suis pas dupe, je les ai entendu parler de leurs histoires sur le balcon, j’ai perçu les regards de jalousie, d’envie, les hésitations… Homme ou femme, même combat.
Vingt-quatre ans et je me sens comme un nourrisson.
La soirée se termine. Elle part ou je pars, je ne sais plus qui part. Je ne la reverrai pas.