Respirer, marcher

Dernièrement, j’ai retrouvé mon rythme. Couché à quatre heures du mat, debout à dix. Je me reconnais davantage dans ces horaires, dans ces humeurs, dans ce que je produis dans ces temps-là.

En temps normal j’évite de me permettre ces horaires. L’école de mon fils apprécie moyennement mon air hébété quand je sonne une heure après le début de la classe, en grommelant une excuse bidon.

Ma vie professionnelle idéale commence à dix-sept heures. Avant ça, je respire, je marche, je lis, je gribouille. Je vis et je remplis mon imaginaire de nouvelles idées.

Ma réalité est différente mais c’est une autre histoire.

Rêves

Respirer, marcher, m’assoir à une terrasse pour regarder les gens passer et m’imprégner de l’atmosphère du monde. Ecrire un peu. Coacher un peu.

J’ai tendance à prendre les rêves des autres pour mes rêves à moi et ça me donne la migraine de la précipitation. Pendant plusieurs années, ça me filait même des migraines à aura avec toute une brassée de symptômes dont je me serais passé, comme d’oublier les noms et l’amour que j’avais pour mes amis.

C’est une torture étrange, d’être allongé là, le corps à moitié engourdi, à regarder l’image d’un visage à l’intérieur de son crâne, à savoir que l’on connaît cette personne, à savoir que c’est un ami mais à ne rien ressentir, comme si cette amitié, comme si cette affection n’avaient jamais existé. Et d’être de toute façon incapable de mettre un nom sur le visage. Et d’être de toute façon incapable de parler parce que les mots qui sortent de votre bouche sont des syllabes incohérentes.

Les examens cliniques n’ont montré aucun problème neurologique. Pas la moindre faille dans la mécanique. « Bug temporaire », ça aurait pu être le diagnostic. Moi j’ai compris que c’était la manière qu’avait mon inconscient de me dire: « il est temps que tu changes de vie ». C’est ce que j’ai fait. Et les migraines ont disparu.

Quelques années plus tard, ce sont les crises d’angoisse qui les ont remplacées. Avec des douleurs à la poitrine à me demander si mon coeur s’était arrêté ou s’il allait exploser. Et les vertiges à me mettre au sol. Et Coralie qui disait: « t’en fais trop ». Et le vide dans mon corps et dans ma tête, le vide comme si l’existence toute entière était devenue un trou noir. Ça allait au-delà du sentiment d’absurdité ou de la peur de la mort, c’était la réalité vécue du vide.

Là encore. Changé de vie. Crises d’angoisse disparues.

Et là je sais qu’il faut que je franchisse un cap. Greg me dit: « le prochain pallier, tu y es déjà » et je sens qu’il faut que quelque cède dans ma tête, qu’une vieille connexion synaptique désuète craque pour que les nouvelles connexions prennent le relais. Mais ça ne craque pas.

Alors je marche, je respire. Six secondes in, six secondes out. J’ai l’impression d’être de retour au dojo où je pratiquais le zazen pendant une heure tous les matins, il y a dix ans.

Je marche et je laisse couler mes pensées dans mon sillage comme une brume usagée. Et on me dit: « comment fais-tu pour faire autant de choses ? » et je réponds: « quelles choses ? » parce que, sincèrement, je ne vois pas.

Prendre le temps d’être, tout simplement. De m’installer au soleil et de sourire au monde, et à moi.

Au fond, tout va bien. Guillaume pense que je suis torturé. Je me demande comment font les gens pour ne pas l’être. J’ai toujours pensé qu’ils faisaient semblant, parce que franchement, comment peut-on ne pas se poser vingt-mille questions existentielles face à cette expérience de dingue qu’est la vie ?

Lucile, la chamane, m’a dit: « tu es là pour expérimenter, expérimente ». Si la vie est un grand terrain de jeu, je veux jouer ma partie du mieux que je peux et pour faire ça je suis content de pouvoir compter sur mon corps, parce qu’il sait, comme aime à me le rappeler Renard, et il le dit.

Accepter de prendre le temps

Tout est dans l’ordre des choses. Ce qui doit arriver arrive et l’esprit a sa temporalité à lui. Je relis Pressfield pour me le rappeler: chaque détour est une pièce du grand puzzle dans le cosmos de notre existence.

Faire confiance au temps, agir, écouter les murmures subtils de l’inconscient et les messages moins subtils que le corps sait générer quand notre attention n’est pas bien affûtée.

Marcher et respirer.

A l’impatience des autres je réponds par un sourire. Il faut laisser le temps au système nerveux de s’ajuster, les révolutions paradigmatiques se font à l’échelle des générations, pas à celle des individus.

A mon impatience je réponds par de l’agitation. Alors Sarah (c’est ma coach) sourit et me rappelle qu’il n’y a ni pause ni précipitation dans la nature, seulement la calme répétition des cycles saisonniers et que les choses changeront vraiment quand j’arrêterai de définir mes désirs à partir de moteurs superficiels et que je me reconnecterai à mon essence profonde.

 

Et c’est simple en fait.

La liste des peurs

L’autre jour j’ai lu cette idée: établir une liste de vingt peurs et les affronter. J’ai commencé à mettre des trucs, pour voir, et puis rapidement, j’ai réalisé que certains des points de cette liste me laissaient indifférent en fait. Et ça m’a fait comme avec le culte de l’inconfort, l’effet d’un nuage de fumée.

Avoir peur et être inconfortable ça n’a rien à voir avec l’intérêt. On dit: « sort de ta zone de confort », « affronte tes peurs », mais quand je regarde cette liste, il n’y a que cinq choses qui sont vraiment importantes et pour lesquelles j’ai vraiment envie d’investir du temps et de l’énergie.

Le reste, ce serait du mouvement pour le mouvement, de l’agitation, de la frénésie. Ce serait me faire croire que je grandis alors que ce serait une nouvelle forme de fuite.

« J’utilise la peur comme moteur: j’ai peur que si je n’ai plus peur, je ne sois plus motivé pour agir, » j’ai dit à Sarah en riant parce que je réalisais l’absurdité de cette phrase.

« Qu’est-ce qu’il se passe si la peur disparaît ? » m’a-t-elle demandé.

Et là, en écoutant mon corps, j’ai eu la surprise de me rendre compte qu’il y avait moi, l’essence de mon individualité, et qu’elle avait quelque chose à dire et à partager avec le monde. J’apprends à l’écouter et pour l’instant, ce qu’elle veut, c’est marcher et respirer.