Je lis autant Lipovetski que j’écoute Nicki Minaj.
Mon rêve du moment ? Voir Minaj twerker en débitant des paroles de Nietzsche.
Je suis français de naissance, montréalais de cœur, anglophone, francophone, nourri à la culture anglo-saxonne autant qu’à celle de l’hexagone. Les mots se mélangent dans ma tête et dans mon cœur. Je cherche, au milieu de cette multiplicité, mon identité.
J’aime cette vie et cette quête. Certains soirs je me couche avec désespoir: il reste tant de jours à ma vie, comment aurai-je la force de les vaincre tous ?
Quand je dis « vaincre », c’est belliqueux mais c’est la réalité. Chaque jour est une lutte contre mes excuses, contre ma fatigue, contre les distractions.
« Je pourrais sortir, errer dans un parc, trouver quelqu’un à qui parler, me faire un nouvel ami aujourd’hui » mais ce serait fuir la page. Peut-être que l’errance porte la clef du projet mais je sais que rien ne remplace le travail.
Assis sur ma terrasse envahie par les fleurs de la passion, je tape furieusement sur mon clavier. Trois jours. Dix huit pages. Les mots les plus pertinents possibles. Les plus sexy, les plus convaincants. « Donnez envie ».
Il y a si longtemps que je n’ai pas joué à ce jeu que j’en ai oublié les règles. C’est peut-être pour le mieux. Peut-être est-ce au moment où l’on oublie les règles que l’on joue la meilleure partie.
J’écris sur ce que j’aime, ce qui m’accapare. Combien de temps écrirai-je sur la marge, sur la liberté, sur l’autonomie ? Je retrouve parfois des textes que j’ai écrits il y a quinze, vingt ans. Déjà ils contiennent ces thèmes. Quand j’étais pigiste, je me suis spécialisé dans les niches. Quand d’autres ne juraient que par les blockbusters, je cherchais le petit éditeur, le petit créateur indépendant qui proposait quelque chose de différent, d’authentique, de surprenant.
Avec Wrong Number ce dilemme s’est posé : en faire un livre commercial ou le laisser être cet objet abrupt mais puissant ?
Deux piles : les blockbusters et les histoires indépendantes.
« Il y en a une troisième, » suggère Marie sans me dire ce qu’elle contient.
Et s’il y avait d’un côté la pile des projets narcissiques, de l’autre la pile des projets de commande et au centre les bons projets, ceux qui sont à la fois authentiques et tournés vers le public ?
Wrong Number est narcissique comme peuvent l’être les journaux d’Anaïs Nin. J’aime lire ce genre de livres autant que Phil Dick, William Gibson, Fitzgerald, Nick Hornby, Barjavel, Dumas ou Doug Coupland.
Cette multitude d’envies et d’influences fait ma richesse. Combien de temps passons-nous à lisser qui nous sommes, à tenter d’entrer dans le moule que les autres projettent sur nous ?
Si nous passions ce temps à affirmer avec le sourire qui nous sommes sans être sur la défensive, sans croire que nous devons quoi que ce soit à qui que ce soit, sans craindre qu’on nous rejette pour ce que nous aimons, ce que nous faisons, ce en quoi nous croyons, nous arriverions plus vite à des discussions profondes.
En feuilletant les images que j’ai sauvegardées au fil du temps, je suis retombé sur cette citation d’Anaïs Nin: « Notre culture a rendu vertueuse la vie extravertie. Nous avons découragé le voyage intérieur, la quête pour un centre. Alors nous avons perdu notre centre et devons le retrouver ».
Je lis cela et je pense : « il y a quelque part dans mon être un noyau simple qui est moi. Si je le trouve je pourrai agir et être en accord avec lui ».
Alors nous cherchons et nous ne trouvons pas, parce que nous sommes éclatés, fragmentés, « obéissant à des logiques multiples à l’instar des juxtapositions compartimentées des artistes pop » (Lipovetsky, 1983, p. 160).
Le centre est une combinaison complexe d’atomes de forme, de vibration, de volume différents. Nous cherchons le fil qui nous unit, le mot qui nous définit mais il n’existe pas. Nous ne sommes pas une constellation mais une galaxie.
A trop chercher l’étiquette qui nous rangera dans le bon tiroir nous en oublions qu’aucun meuble n’est assez grand pour nous contenir, aucun mot ne peut nous résumer.