23088 mots en 12 jours.
De grandes étendues de nature où me dépenser après mes intenses séances d’écriture.
Encore 12 jours. Midpoint de ma retraite (pas du projet, là, c’est le dernier sprint. 5 mois de travail non stop, 20 épisodes par mois à part en juillet où je n’en ai écrit que 10.)
C’est la première fois que je porte un projet d’une telle ampleur. Tout ce qui a précédé m’a préparé à pouvoir l’honorer.
Midpoint aussi de ma vie. On le sait depuis 18 mois, que je suis en brouillon.
Je n’ai jamais été aussi proche de vivre ma vie telle que je la rêvais.
J’ai commencé comme ça, par une année sabbatique. 9 mois consacrés à la rédaction de mon premier roman. Full time.
Maintenant comme à l’époque, ça ne suffit pas.
Maintenant, contrairement à l’époque, je ne suis pas excité à la perspective de ma carrière qui commence, un peu fier, un peu inquiet.
Maintenant, je suis un peu blasé. Je fais le job et je me dis que je commencerais bien autre chose. Une autre carrière. Moins sédentaire.
À l’origine, le rêve c’était un mélange de création et de voyage. Corto Maltese comme avatar de l’homme que je cherchais à devenir.
Il paraît qu’on me voit comme l’aventurier que je rêvais d’être. À cette nuance près que mes voyages sont immobiles, mes explorations intérieures et relationnelles, mais essentiellement statiques.
Alors j’ai décidé de foutre en l’air le château de carte. Je vends tout.
Je donne tout.
Je commence autre chose.
Je n’arrête pas d’écrire mais je démarre une nouvelle carrière. Quelque chose où je serai à nouveau débutant. Où j’ai tout à apprendre. Le savoir-faire comme le savoir-être. Une carrière avec un horizon large large large. Du boulot à la pelle et de vastes perspectives d’évolution. Vastes au sens où les embranchements possibles sont nombreux. Ce qui laisse beaucoup de place à l’aventure, à la découverte, aux fausses pistes, aux retours en arrière.
Ça me rappelle l’une des deux histoires qui a marqué mon enfance : Le Piège à Ennui. C’était l’un de ces petits « romans » jeunesse publiés dans des périodiques mensuels. L’histoire d’un roi qui avait tout. À qui l’on faisait cadeau d’un Piège à Ennui perpétuel. Il s’agissait d’une Quête. La quête d’une fleur qui n’existait pas. Toute sa vie, le roi échoue. Il expérimente. Il passe à côté. Il apprend la botanique et les greffes, il délaisse ses anciens jouets pour se consacrer à cette recherche.
Finalement, dans son vieil âge, il réussit et décide que, maintenant, il est prêt à s’ennuyer.
Bon. Cette nouvelle carrière c’est mon piège à ennui. J’ai déjà tout ce que je voulais.
Je fais partie d’une génération qui a été encouragée à suivre sa passion, à structurer sa vie autour de sa passion.
Nos parents étaient passés à ça de le faire. Ils avaient découvert qu’ils avaient le droit de rêver leurs vies mais tout restait à inventer : comment fait-on ça, « rêver sa vie » ? Ils ont essuyé les plâtres et nous ont confié le plan. À nous de bâtir la machine.
Peu importait la validation sociale, la réussite financière, mieux valait une vie épanouie de bohème qu’une réussite sociale vide de sens.
Ce qu’ils ignoraient. Ce que nous avons découvert, c’est que la passion ne suffit pas. Ce n’est pas qu’elle ne dure pas. Je suis plus passionné par mon métier aujourd’hui que je ne l’étais à 20 ans. C’est quelque chose comme … une étincelle a été cultivée en nous. L’étincelle qui pousse à chercher, fabriquer, rêver, traquer, désirer toujours l’état de passion.
Pas le résultat de la passion.
Pas la pratique passionnée.
Non, la recherche elle-même est devenue notre objectif.
On a un moment de désarroi quand, en plein dans la réalisation de notre rêve, en plein dans notre vie idéale, on se rend compte d’un désir qui nous taraude : « qu’y a-t-il de l’autre côté de la prochaine butte ? »
On se dit « il y a un problème. Je devrais être content d’être arrivé là ».
Le secret est de réaliser que cette aspiration perpétuelle n’est pas le problème, c’est la réponse.
Vivre c’est désirer, et réciproquement.
Cesser de chercher la satisfaction, se réjouir de la recherche.
Finir les projets, s’investir dans ce que l’on entreprend, bien sûr, et emporter tout ça avec soi comme un bagage du cœur sur les chemins de traverse qui nous mènent de l’autre côté de la prochaine butte, justement.
Bref. Je change. J’accepte cette voix qui appelle en moi, qui appelle la nouveauté, qui appelle la découverte, le renouvellement de moi. Cette voix qui s’appelle passion. Cette voix qui s’appelle désir. Cette voix qui dit « je vis ! »
Ce projet, c’est un secret.
Je le préserve comme une braise qu’il ne faut pas exposer aux quatre vents sous peine qu’elle s’éteigne.
Le temps venu, je soulèverai les pans du mystère.
En attendant, j’ai un roman à terminer.
Projet Alfred : 86/100.
Dehors, d’où je tape ces mots : la montagne, le soleil couchant qui me caresse la joue, l’odeur de la mousse et du pin trop sec.