PARCOURS D’UN AUTEUR

J’écris depuis plus de vingt-deux ans. Non, trente. Non, quatorze. Non, sept ! Argh.

Recommençons. La première trace de mon écriture que j’aie retrouvée est un livret format A4 intitulé Le petit garçon découvre ses pouvoirs. C’est une nouvelle illustrée, mise en page et reliée dont je n’ai aucun souvenir conscient. Je lis mon nom sur la page de garde, je reconnais mon écriture et mes thématiques récurrentes, je reconnais les prénoms des personnages. Grâce à ces prénoms et à ma graphie je peux déduire que j’avais huit ou neuf ans quand je l’ai écrit. J’ai écrit d’autres choses après, notamment un début de roman de science-fiction quand j’avais dix ans, que je n’ai pas conservé. C’est mon premier souvenir conscient d’une décision d’écrire. Un mensonge de ma mémoire, donc, puisque j’ai retrouvé Le petit garçon…

Plus tard, à seize ans, quand on me demande ce que je veux faire de ma vie, maintenant que le lycée touche à sa fin, je réponds « romancier ». Je le réponds avec l’absence totale de concession typique de l’adolescent que je suis alors. Trois ans plus tard, je partirai m’enfermer trois semaines dans un couvent pour écrire un roman que je finirai par détruire. C’est à seize ans que je fais de l’écriture un projet global délibéré mais mal défini. Le métier de romancier reste une idée vaguement romantique. J’écris, presque tous les jours, des bouts d’histoires, des nouvelles, des débuts de romans (je suis fort en débuts de romans).

A vingt-deux ans, je signe mon premier contrat d’édition. Pour un roman d’anticipation que j’intitule Projet Yama et que je n’ai pas encore écrit. J’empoche mes trois cents euros d’avance et j’arrête mes études après cinq ans d’université. Je retourne vivre chez mes parents histoire de remplir la commande et de tester la vie d’auteur. Je me découvre beaucoup de temps à combler entre les sessions d’écriture. Je prépare le concours du CEEA, je traîne sur les forums d’auteurs de BD. Je livre le roman à l’éditeur qui m’annonce sa faillite un mois plus tard. Pas de Projet Yama chez les libraires. Première déconvenue professionnelle. J’ai fait ma part du boulot et ça n’a pas suffit.

À la fin de cette année à « vivre comme un romancier », je suis reçu au CEEA. J’arrête d’écrire de la fiction littéraire pour apprendre le scénario, puis pour exercer comme scénariste. Spécialisé en film d’animation, je travaille sur une vingtaine de séries à différents niveaux de développement. J’y épuise ma créativité. Je n’y trouve pas ni l’épanouissement professionnel ni l’épanouissement artistique que j’espérais. Je déprime, et les piges que j’écris pour la presse spécialisée n’offre qu’une maigre échappatoire. Début d’une descente.

À 28 ans je deviens père au milieu d’une année particulièrement sombre de ma vie d’auteur. Je développe des symptômes neurologiques qui m’alertent sur le fait que quelque chose, clairement, ne va pas dans la vie que je mène. Je parie pour la rupture et quitte Paris pour me réinventer.

Je traverse de longs mois d’aridité créative. Je n’arrive pas à écrire. Encore moins à finir ce que je commence. Je refuse les contrats de l’audiovisuel et me consacre à l’enseignement et à l’entrepreneuriat. J’apprends le marketing. J’apprends le web. J’apprends l’autonomie. Je rêve d’indépendance : plus d’intermédiaire entre le public et moi. Je plonge. Je publie mes premiers textes en indépendant. Au début je peine à écrire, à finir, à montrer. Puis je développe de meilleurs réflexes, de meilleures habitudes de travail, une vision plus claire et radicale.

Ce n’est que le début de ma route. J’approche de quarante ans. J’ai de grands objectifs pour mon écriture. Comme les rappeurs j’ai envie de dire « regardez-moi alors que je gravis la montagne, regardez mon succès qui se construit sous vos yeux ! » Je me pisse dessus parce que je ne sais pas où cela aboutira, comment j’arriverai à remplir mes objectifs. Ça me semble impossible, mais ce n’est pas la première chose impossible que je tente, alors tout est parfait.