Le courage de se perdre

« Vivre, c’est avoir le courage de se perdre. »

C’est la phrase de fin de Détours. Je ne l’attendais pas mais elle donne sens à tout le livre. Elle est exactement la réponse à mon intuition que le développement personnel, le culte de la pensée positive, les leçons de bonheur distillées à longueur de manuel de bien-être, sont à côté de la plaque. Vivre, ce n’est pas réussir, ce n’est pas se tracer une piste au bulldozer et la barder de lumières flash pour retrouver son chemin quand le monde s’écroule.

Vivre, c’est avoir le courage de s’engager dans des chemins inconnus, prendre des détours non prémédités. C’est avoir le courage de s’abandonner à une rencontre, une envie, un caprice, et risquer de se perdre. Se perdre soi, ne pas se reconnaître, se découvrir sous un nouveau jour, contempler dans le miroir le reflet d’un inconnu. Perdre ce que l’on a construit : une relation, une carrière, une épargne, des objets, un statut. Perdre ce que l’on prenait pour la réalité.

Ce qui me frappe le plus, dans cette crise mondiale du coronavirus, c’est la panique dont certains semblent pris en découvrant que personne ne sait ce qui arrive, que les gouvernements, l’OMS, les systèmes de santé, les économies, rien n’est en maîtrise. Un virus plus petit qu’un cheveu suffit à mettre en déroute toute la civilisation. Et tout ce qui inquiète les gens c’est « quand est-ce qu’on revient à la normale ? »

Alors que, justement, ce qui est formidable dans un moment comme celui-ci, c’est que nous soyons tous perdus. Les repères d’avant ne valent plus. Le monde d’après est à inventer. Alors bien sûr, le goût de la normalité est telle dans nos sociétés que le monde d’après sera le même que le monde d’avant. On perdra quelques acquis sociaux, on rapatriera quelques industries, mais on ne questionnera pas le fond du système.

Parce qu’être perdu, cela effraie.

Mais être perdu, c’est aussi l’opportunité de la découverte de l’inédit. Depuis quand n’avons-nous pas eu un véritable inédit ? Ok, cinq semaines, avec le confinement de la moitié du monde. J’ai mal formulé ma question.

Être perdu c’est pouvoir être ce que l’on veut, comme on le veut, et plus encore. Vit-on si l’on ne se perd jamais ? Ou joue-t-on la carte de la sécurité timide, celle qui pousse l’âme à se cacher, à se diminuer pour ne pas se sentir exposée ?