À qui je m’adresse quand j’écris ?

Je suis là, à chercher à qui je m’adresse, à parler dans le vide, mais pas tout à fait. À parler à une dizaine de personnes déguisées en centaines. À qui je m’adresse ? À moi-même. Et comme je tourne en rond, je dis toujours la même chose.

Puisque je tourne en rond je finis par avoir la tête qui tourne, elle aussi. Comment je fais pour faire une ligne droite ? Ou, si je tourne en rond, est-ce dans l’un de ces circuits où courent les compétiteurs, qu’ils soient à pied, à vélo ou en F1 ? Quel temps est-ce que je cherche à battre ? Quelle course est-ce que je cherche à emporter ?

Je suis engagé à trouver comment vivre au plus vrai. Comment être fort dans la vulnérabilité que j’offre à voir. Je suis engagé dans ma quête de justesse existentielle, n’en déplaise à ceux qui n’aimeront pas ce que je suis. Les codes sociaux m’échappent en partie. Je n’ai pas la patience de les respecter. Écrire, je comprends. Ça me cadre. Ça me calme.

Je veux parler à ceux qui sont comme moi, qui se dépatouillent avec leur vie. Qui ont de grandes ambitions et doutent. De ceux qui veulent travailler à construire leur vie telle qu’ils la veulent pas telle qu’on la leur vend.

Je veux reconnaître le droit de croire en soi, trouver et partager les clefs de la réalisation de ses rêves créatifs, relationnels, financiers.

Pour moi, le rêve créatif c’est d’être publié chez Gallimard. Et chez Grasset. Et c’est d’écrire à longueur de journée et d’être payé grassement pour ça.

Pour moi, les relations sont faites pour être fluides, mobiles, intenses puis distantes, puis douces, puis intenses à nouveau, puis autres, se réinventant encore, sans cesse.

Pour moi, le rêve financier c’est d’avoir assez d’argent pour ne pas mesurer les dépenses, pour pouvoir en donner à mes amis quand ils en ont besoin, payer des tournées et des restaus. De pouvoir soutenir des artistes en achetant leur art parce qu’il me touche et que je sais le chemin de la création. De pouvoir voyager parce que c’est quand je suis déboussolé que je trouve le mieux mon chemin. 

Pour moi, le rêve de vie, c’est d’habiter seul, dans un coin tranquille avec un extérieur, en ville et à la montagne, et en itinérance, selon mes humeurs.

Je n’ai pas d’appétence particulière à vivre dans la nature. Y aller de temps en temps, avec plaisir. La nature que je préfère, c’est la nature humaine (pffff, t’es sérieux, là ?)

Je n’ai pas d’appétence à diriger des équipes. J’ai besoin de ma liberté. Je n’ai pas d’appétence à m’engager sur plus de trois mois sur les projets. J’ai trop envie de diversité.

J’ai envie d’écrire, écrire, écrire, à longueur de journée. Je le fais déjà. La seule clef qui me reste à tourner quand j’aurai trouvé la serrure, c’est celle de l’argent. Me faire lire. Me faire tipper. Faire acheter mes textes. Trouver un mécène. Démultiplier le nombre de mes lecteurs. Je encore les options.

Écrire pour être lu, c’est écrire à quelqu’un, c’est sortir de soi et se concentrer sur l’autre :

Qu’est-ce que tu auras plaisir à lire ?

Qu’est-ce que tu as besoin de lire ?

Comment est-ce que mon expérience te parle de toi ?

Comment je peux faire pour rendre ma singularité plus universelle ?

Je crois qu’il y a quelque chose qui se fait tout seul, que le mode d’interaction par défaut entre humains, c’est la projection. Que l’on se voit soi, en l’autre. Que l’on voit nos propres insécurités et doutes dans les comportements qui nous dérangent. Que l’on se projette soi à la place de celui qui violente, qui est violenté, qui est audacieux, lâche, tendre. On est rarement capable d’accueil détaché, de dire “wow, t’es beau.elle quand t’es toi”, en particulier quand une part de ce qu’est l’autre nous heurte.

Vous avez remarqué comme il est dur d’aimer à 100%, comme il y a toujours au moins 10% de l’autre qui nous hérisse le poil ? Et, soyons honnête, c’est rarement si peu. Si j’arrive à aimer 51% de quelqu’un, je suis déjà content, alors imagine, 90 !

Pas sûr que ce soit souhaitable autrement. L’empathie c’est “se mettre à la place de”,  la compassion, c’est “ressentir avec”. Même nos mots de connexion partent de nous comme sujet.

Pour moi qui écris dans le but de toucher qui me lit, c’est cadeau. Si je peux vous impliquer dans ce que je raconte, si je peux générer en vous l’étincelle “et moi, à sa place ?” ou le feu de la concorde (ou de la discorde, ça a le même effet) “je suis tellement d’accord/pas d’accord”, alors c’est bon, j’ai rempli le contrat, j’ai réussi, en faisant mine de me raconter, à vous raconter, vous.

Le solipsisme devient connexion.

En amont cela demande de ma part un travail d’écoute. Qu’est-ce qui, dans mon expérience, fait écho à la vôtre ?

Ce qui m’intéresse, c’est d’avancer. De sortir de la boucle et de faire des pas de côté, de m’arracher à mes doutes si vous voulez. De couper court à la bande usée de mes monologues internes et de les remplacer par des actions. Écrire des livres. Mais pour écrire des livres, je dois d’abord savoir de quoi ils parlent et en ce moment, je sèche.

Pas que je ne sache pas de quoi je veux parler, mais parce qu’il y a trop de choses. J’ai encore envie d’écrire sur les relations. L’amour romantique, le désir, l’amitié (la forte, celle qui est mêlée de désir et de tendresse), l’amour de soi, la liberté et la curiosité sexuelles, la normalisation de l’érotisme. J’ai encore envie d’écrire sur nos avenirs possibles. J’ai envie d’écrire sur l’audace de l’aventure. Envie d’inverser des paradigmes, de désacraliser un peu ce monde que l’on prend trop au sérieux (on le perd, et alors ?).

Trop d’options.

Et je ne parle même pas des histoires de pure imagination qui traînent dans ma tête.

Je voudrais être plus rapide. Cela veut dire écrire plus longtemps chaque jour. Publier plus vite. Pas par obligation, mais parce que j’aime ça. Je me sens aligné quand je publie, quand je produis.

J’ai aussi à réviser mon paradigme de ce que c’est qu’écrire. William Gibson a fermé son blog un jour en disant « c’est sympa mais pendant que je fais ça, je n’écris pas de romans ». Je fais partie d’une génération pour qui l’écriture web est encore perçue comme inférieure à la vraie écriture, celle des livres. Je me rends bien compte de l’impact que mes articles sont capables d’avoir. Et qu’écrire sur un journal en ligne ou dans un bouquin, c’est écrire et apporter quelque chose à quelqu’un.

Je suis prisonnier de mes représentations, mais – ne le dites pas aux gardiens – je creuse des passages dans les murs de la prison pour m’enfuir.

Ok, ok, mes hospitalisations de début d’année ont effondré mes excellentes habitudes, ralenti mon rythme et ont secoué mon petit cœur fragile. Trauma léger. J’en suis sorti. Ne dit-on pas que quand on tombe de cheval, la meilleure thérapie c’est de remonter en selle ? Alors, je remonte en selle. J’écris.

À qui ? Je l’apprends petit à petit en publiant et en écoutant les réponses. Et si j’arrive à ce que vous aimiez 51% de ce que j’écris, alors j’ai gagné.