Peur de l’échec ou peur d’être un échec ?

La peur de l’échec. Je réfléchissais à ça ce matin parce qu’un ami passait un entretien pro et s’est senti « nul » à la sortie en concluant « je ne referai plus jamais. Ce n’est pas un exercice pour lequel je suis fait ».

D’un coup me sont revenus tous les discours sur la peur de l’échec, qui empêchent les personnes d’agir en direction de leurs ambitions et de la construction de la réalité qu’ils veulent.

« Si vous n’agissez pas en direction de vos rêves, c’est parce que vous avez peur d’échouer », dit, en gros, le discours.

L’un des avantages de s’engager dans une carrière artistique c’est que l’échec constitue au moins 80% de ma réalité. Je n’ai pas le luxe d’avoir peur de l’échec, ou de laisser cette peur me paralyser. L’échec est juste un résultat. Désagréable, oui, mais pas plus que de me brûler en ouvrant le four.

L’échec est une information : « ça n’a pas marché cette fois », et souvent c’est la seule information. A-t-on échoué parce que l’autre partie était de mauvaise humeur ? Parce que le projet était à côté de la plaque ? Parce que nous ne sommes pas au niveau ? Ces informations sont rares et précieuses.

L’échec fait partie de notre vie depuis la naissance. Les trois premières années de notre vie sont faites d’expérimentations avec la position assise, le fait de ramper, de nous tenir debout, la marche, la parole…

Nous savons, intimement, parce que c’est comme ça que nous avons appris à nous déplacer et à communiquer, que l’échec est une ressource précieuse, qui nous permet de grandir. C’est aussi, sans doute, un objet de survie. Dans la nature, refuser l’échec, c’est mourir. Imagine le lion qui, à la première gazelle qu’il n’attrape pas, se roule en boule et décide qu’il n’essaiera plus jamais de chasser.

(Je pense au lion parce que je viens de me souvenir d’avoir entendu parler d’une vidéo sur laquelle un lion échoue dans sa chasse et se pose peinard dans la savane en attendant la prochaine opportunité. Si quelqu’un connaît cette vidéo, je suis curieux de la voir).

Je n’ai pas peur d’échouer, je ne comprends pas que l’on ait peur d’échouer, et je ne crois pas que la peur d’échouer soit la source du problème.

Ce qui m’intéresse dans le retour de mon ami ce n’est pas « j’ai raté mon entretien », c’est « je me sens nul ».

Et si ce qui nous empêchait d’avancer vers nos rêves, c’était la peur de nous sentir nul ? La peur de la griffure à l’ego ? De réaliser que nous avons besoin de travailler davantage, de nous entraîner encore, de fournir les efforts nécessaires pour obtenir un autre résultat, la prochaine fois ?

Et plus l’objectif nous tient à cœur plus le sentiment d’être nul, ou pas encore assez bon, est virulent. La déception de l’ego est d’autant plus forte que l’enjeu est important.

Paradoxalement, c’est aussi lorsque l’enjeu est le plus important qu’il devient le plus nécessaire d’être persévérant.

Un exemple. En bientôt deux ans j’ai envoyé trois propositions d’histoires à un magazine. Trois refus. Je sais ce qu’il faut que je travaille. Mais trois propositions en deux ans, c’est ridicule. Je devrais en être à dix. Ce n’est pas l’échec qui m’empêche d’être plus insistant, c’est que mon intérêt pour être publié là est moins important que d’autres objectifs sur ma liste de choses à réaliser dans ma vie.

Plutôt que la peur de l’échec, je suggère de prendre en compte :

* Comment l’échec n’est pas un discours sur soi, sur sa valeur, mais seulement sur un ensemble de circonstances, dont sa propre adéquation, à ce moment-là et en cet état de notre expérience, avec la situation.
Autrement dit, comment « j’ai raté » n’est pas synonyme de « je suis nul ». Connaître un échec, ce n’est pas être un échec. (Dit comme ça, ça semble tellement évident, mais adoptons-nous vraiment cette nuance dans la réalité)

* L’échec s’accompagne d’émotions moins agréables, comme la honte, la tristesse, la déception, la colère…
Quel protocole de soin pouvons-nous mettre en place en amont pour accueillir ces émotions et les laisser s’exprimer ?

* Quel est l’enjeu réel, pour nous, de l’action que nous posons ? Comment pouvons-nous prendre en compte et compenser le biais selon lequel plus l’enjeu est important plus la déception risque de déformer notre perception de l’échec ?

* Après coup, dans l’apaisement, comment pouvons-nous rapidement « remonter en selle » et, au choix, réévaluer nos priorités, décider de notre prochaine action, et évaluer – si c’est possible – lesquelles de nos compétences renforcer, comment ajuster notre stratégie, ou modifier notre plan d’action.

Peur de réussir

La même chose est valable à la peur de la réussite, que l’on nomme parfois comme un obstacle à l’action. Ce n’est pas réussir qui effraie, c’est ce que cela nous fera ressentir.

Comment nous représentons-nous les gens qui réussissent ? Le discours, en particulier le discours critique, que nous tenons sur eux, nous éclaire sur nos représentations.

  • Si nous avons tendance à penser que les gens qui ont du succès ont eu de la chance, peut-être craignons-nous que notre valeur ne soit pas reconnue si nous réussissons, que nos efforts pèsent pour rien dans la balance.
  • Si nous les estimons arrogants, peut-être craignons-nous de perdre notre humilité si nous réussissons.etc.
  • etc.

Qu’il s’agisse d’échec ou de succès, ou d’autres idées-valises comme celles-là, qui résument un ensemble de sensations et de nuances émotionnelles, un petit moment d’attention et de déconstruction de nos a priori aide à aborder plus en conscience et en sérénité les mouvements de nos vies.

En déconnectant nos actions des résultats que nous projetons sur elles, nous leur donnons le pouvoir de nous servir de moments d’apprentissage et de croissance personnelle.