23.6.23

Dormir aide.

Il y a un cycle qui s’installe : je bosse 12-13 heures par jour pendant 4-5 jours. Je m’effondre. Je dors pendant deux jours. Je redémarre. À peu près. C’est plus nuancé que ça mais c’est assez proche de la réalité. J’essaie de conquérir plus d’endurance. De faire durer plus longtemps ma capacité à tenir. Parce que je ne supporte pas l’idée d’avoir des limites. Parce que je déteste l’idée d’une vie équilibrée — plate, beige.

Je continue, chaque jour, à me demander ce que je veux faire de ma vie. J’essaye de me représenter l’échelle de temps qui s’ouvre devant moi. Sauf accident majeur de la vie, il me reste quarante bonnes années. Soixante si je fais quelques efforts pour assurer ma longévité. Vivre 100 ans, ce serait fun.

Disons quarante.

J’ai regardé les vingt dernières années. Il y a vingt ans je finissais juste mon premier diplôme, une maîtrise de philo que je ne comprends toujours pas avoir eue. Je veux dire… je n’ai fait aucun effort. Bref. Je n’avais encore rien publié. Je ne savais même pas que le CEEA existait. J’étais de retour en France depuis à peine un an. Honnêtement, je ne pensais pas y rester si longtemps.

Le monde était ouvert, une gigantesque opportunité, un espace à explorer et conquérir.

Mes projets n’étaient pas très différents d’aujourd’hui mais je n’avais ni l’expérience, ni la technicité pour les réaliser. Écrire était un rêve, pas un vrai projet avec une échéance et un cahier des charges et une méthodologie solide pour l’accompagner.

Vingt ans. Il s’est passé tellement de choses, j’ai vécu tellement de vies pendant ces deux décennies.

Me dire que j’ai la même richesse sous mes roues m’exalte !

Quand je me demande ce que je veux pour mes vingt prochaines années, il y a beaucoup de « je ne veux pas ça » et peu de « je veux ».

Je ne veux pas que mes conversations portent sur les travaux et aménagements de ma maison. Je ne veux pas penser à ma maison. Je veux y dormir, y manger, y travailler et ne pas y penser. Je dis ça parce que je remarque beaucoup de conversations comme ça aux terrasses de café. Des conversations qui portent sur les matériaux, la couleur des peintures, les aménagements paysagers et les aménagements intérieurs. J’ai l’impression que les gens jouent aux sims avec leur vie.

Je ne veux pas penser à mes vacances. Je ne veux pas que ma vie soit partagée entre « vacances » et « non-vacances ». Je veux qu’elle soit fluide. Si demain je ne veux pas travailler, je ne travaille pas. Si je veux partir un mois avec mon projet, je pars un mois et j’embarque mon projet.

Je veux continuer à naviguer ma vie et mes projets selon mes propres règles et mes envies. Nomade de corps et de cœur.
Je veux m’immerger dans mes projets. M’investir dans la réalisation de mes idées.
J’ai vécu beaucoup des choses que je voulais vivre. En fait pendant cette première moitié de vie, tout ce que j’ai voulu vivre, je l’ai vécu. J’ai eu vingt années d’une richesse inouïe. Je veux vingt années encore meilleures !

Et comme le temps a passé, que mes envies ont bougé — et que je ne sais pas encore complètement comment elles ont bougé — ça me prend un peu d’ajustement et de temps de savoir exactement ce que je veux maintenant, ce que je veux construire et comment.

Alors comme à chaque fois je compare. Pas ce qu’untel a par rapport à ce que j’ai. Non, je compare les projets de vie : je me dis untel parle de sa maison et s’investit dans sa nouvelle cuisine. Est-ce que je veux ça ? Est-ce que ça me fait tripper ? Clairement, non.

Ou untel dit qu’il faut de l’équilibre dans la vie. Est-ce que je veux de l’équilibre ? Qu’est-ce qu’il y a derrière cette question d’équilibre ? Une forme de sérénité et de sécurité. Est-ce que je veux de la sérénité et de la sécurité ? Une part de moi, oui, mais c’est à quel prix ? Est-ce que je peux apprendre à me contenter d’un besoin de sécurité moins important et en retour gagner plus de liberté ?

Moi c’est mon truc, la liberté. Cette capacité à décider chaque jour de la manière dont je vais occuper mon temps. Peut-être que je vais décider 90% des jours de m’asseoir devant mon ordi pour coucher des mots sur un écran. Mais je vais le faire sciemment et par choix. Pour certains, la liberté passe derrière la sécurité. Ils disent « l’argent me rend libre » mais c’est uniquement parce que l’argent les libère de leur peur de manquer. Moi qui n’ai pas autant peur de manquer, je peux me sentir libre sans argent. J’utilise l’argent parce que c’est une conversation que j’ai beaucoup entendue ces derniers mois. Ça fonctionne avec le couple (quelle aberration que cette notion), avec la famille, avec le statut, avec la politique, avec la religion, avec tout ce qui nous définit.

Enfin, je dis la liberté. Je crois que c’est la réalisation de projets. Je crois que ce qui me botte c’est de partir d’un ensemble de contraintes et de devoir créer quelque chose. Je crois que ça c’est ce qu’il y a de plus important pour moi. Mais oui, la liberté créative. Le fait que les contraintes ne soient pas étouffantes.

C’est ce que j’apprécie avec l’équipe derrière Alfred, c’est la liberté créative dont je dispose et la fluidité de la relation. C’est souple, c’est clair, c’est simple, c’est efficace, il y a une communication claire et directe, ils savent ce qu’ils veulent et ils savent le dire et je sais l’apporter.

Par moments je freine sur ce projet parce que je n’ai pas envie que ça s’arrête. Rox m’a dit récemment « je ne t’ai pas vu autant épanoui depuis longtemps ». Ça m’a frappé parce qu’intérieurement c’est une lutte quotidienne. Contre les échéances, contre les doutes, contre la fatigue, pour trouver les mots, pour les agencer, pour tenir les fils des intrigues et des personnages, les émotions, l’univers, et le reste.

Et en même temps c’est exactement ce que je veux : résoudre ces problèmes-là. Être aux prises avec ces considérations et ces défis.

C’est ça, la grande question de l’existence : quels sont les problèmes que je veux résoudre ?

Les gens aux terrasses veulent résoudre des problèmes domestiques et diplomatiques. Ils parlent de politique de bureau et de pergola.

Je veux faire mon métier, ce métier formidable que j’ai choisi, qui me permet de passer beaucoup de temps seul et dans le silence, qui me permet de passer beaucoup de temps à écouter et raconter des histoires, parce que les histoires sont le meilleur moyen pour moi de faire sens du chaos et de faire sens du monde.

Anyways. J’ai dormi 2 jours. Je suis d’attaque pour mon prochain sprint intensif.

Alfred : livrable -> 45/100 | écrit -> 50/100