Rêva, rêve, rêvera

Il y a une différence entre rêver et construire une vision. Le problème que j’ai c’est qu’à force de vibrer au son des développeurs personnels professionnels, l’une a remplacé l’autre. Ça et une série de rencontres et de relations avec des gens qui ne rêvent pas, qui sont coincés dans un rapport trop littéral à leur réel. Qui, s’ils rêvent, le font par procuration. Je ne leur jette pas la pierre, notre monde a cette faculté de nous convaincre qu’il est le seul à exister.

Empêtré dans mes objectifs et mes questions pratiques, mes listes d’actions et de croyances limitantes, j’en ai perdu le chemin des rêves. On fait comment, déjà ?

Rêver pour rêver, pour ajouter de la poésie dans le banal et l’immédiat. Pour élargir les horizons sans se révolutionner. Rêver, pas dans un souci de repousser le réel mais au contraire de l’amplifier ; pas dans un souci de transformer sa vie mais de lui offrir un autre éclat, pas parce que l’autre serait terne, mais par simple plaisir. Par envie plutôt que par besoin.

Rêver, pas pour stigmatiser une vie insuffisante mais pour souligner le caractère parfait de celle que l’on vit. Le rêve c’est l’apanage de celui qui a tout, qui n’a ni à regretter ni à envier, qui est inscrit dans un vivant dynamique, épanouissant, et qui s’offre le luxe des pensées vagabondes. Le rêve, c’est un espace de dialogue avec notre inconscient, un espace de connexion avec nos recoins cachés.

Je suis suspicieux des coachings. Je l’ai fait, je continue de le faire. Je ne suis pas convaincu de son intérêt à long terme. Je le vois sans mal à court terme. Je le vois comme un support de productivité, mais pour ce qui est de l’épanouissement profond, j’ai mes doutes quant à la pertinence de l’outil. Ce n’est d’ailleurs probablement pas ce qu’on lui demande. Mais si ce n’est pas l’outil qui amène à un accord profond avec soi (tous les coaches que je côtoie jurent par le progrès, un paradigme que je questionne), alors je ne peux pas me contenter de cet outil.

Je ne suis pas encore au clair avec ça. On peut dire que je suis en crise de foi professionnelle. Mon intuition me répète que cette voie-là est sans issue, que je me suis faufilé dans une impasse, que je me suis concentré sur des artifices, pas sur l’essentiel de ce que je veux (apporter, réaliser, incarner, recevoir) dans le monde. Je n’ai pas encore complètement saisi le paradigme qui me servira à rebondir vers plus de justesse.

C’est quelque chose en lien avec le corps, l’impro, le taoisme et l’acceptation de ce qui est.

Comment agit-on à l’intérieur de l’acceptation radicale de ce qui est ?

Voilà la question qui m’a occupé ces dernières années.

Comme si accepter ce qui est équivalait à l’immobilisme. Mais la vie croît. Et cette croissance se fait par l’enracinement autant qu’en étoffant sa ramure.

À partir de ce que je suis, comment puis-je vibrer plus juste. Comme un arbre dont on taille les gourmands pour lui permettre de renforcer ses branches. Élaguer. Resserrer. Simplifier. Ne rien faire pour mieux être.

Raconter des histoires sans chercher à changer le monde. Raconter le vivant pour lui-même. Parce qu’il est suffisant, parce qu’il n’existe pas une vie meilleure qu’une autre, seulement des degrés de conscience et des degrés de présence. À soi. À l’Autre. Aux vibrations de la Terre et de l’Espace. Pas dans un sens ésotérique, plutôt dans quelque chose de sensoriel, comme une attention porté au bourdonnement d’une abeille, à la nuance de vert d’une jeune pousse, au parfum d’une journée ensoleillée.

Alors, rêver. Pour s’abstraire de la pensée qui éloigne du corps. Pour renouer avec la sensibilité de l’esprit comme un complément de celle des sens. Sortir de la quête du sens pour revenir à l’écoute des sens. Sans jugement ni pensée limitante.

Juste voir le beau.

Me rééduquer à rêver. D’abord en prenant le temps. Prendre le temps d’abord en cessant de lutter contre ma réalité. Cesser de lutter en acceptant ce qui est, en reconnaissant la joie qui existe dans les épreuves, les opportunités d’apprentissage qui s’immiscent dans les fissures du confort. Et de là, de cette acceptation inconditionnelle, totale, qui ne désire rien d’autre que ce qui est, laisser l’esprit voyager là où il le souhaite. Ressentir cet abandon, la relâche du corps, l’ouverture des sensations et s’enivrer de l’indifférence aux résultats.