Morceaux

À ma gauche en ce moment, le livre de Shapiro (Still Writing) est ouvert page 122-123, sur un passage qui s’intitule “Ordinary Life” et termine, p. 123, par “If I dismiss the ordinary […] I may just miss my life.”

En plein dans cette problématique.

Écrire l’ordinaire de la vie. Écrire l’éternel retour. Écrire l’excitante banalité du quotidien.

N’est-ce pas l’enjeu de l’existence ? Construire un quotidien en tel accord avec soi-même qu’il en devient notre meilleure vie possible ?

L’obstination à chercher autre chose, à vouloir gravir étage après étage est-elle autre chose que la reconnaissance que l’on n’a pas encore atteint ce stade où notre existence est précisément celle que l’on a choisi de vivre ?

Je ne suis pas loin de la mienne. Encore un effort et j’écrirai les livres que je souhaite écrire, et ils seront publiés, et ils me feront vivre. Et alors, alors j’y serai. Et je continuerai. Et je pourrai souffrir de la peur de ne plus rien avoir à écrire, et je pourrai frémir de la dépression post finitum, danser avec les angoisses existentielles et leur donner un souffle nouveau, les transmuter sur la page en extases. N’est-il pas là, le plus grand des mystères, que cette existence même qui nous échappe, que le fait même qu’elle nous échappe fut en même temps ce qui la rend si précieuse et délectable ?

Trop de distractions m’éloignent encore de cette vie. Trop de vie. Trop de bruit parasite à faire taire. Je veux retourner chez la shaman.

Quand ?

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Je suis assez indifférent au passage des gens autour de moi. J’ai eu de la peine quand Laurent s’est envolé, parce qu’il y avait notre histoire commune, et puis je me suis fait à son absence. Je suis comme un navire sur l’océan de ma vie. De temps en temps, un banc de poissons m’accompagne, ou un autre bateau, ou juste un certain reflet sur l’eau. Et puis les courants nous séparent. Ça me va.

La porno en réalité virtuelle est un truc de fou. Et puis cesse de l’être.

J’ai besoin d’avancer sur mon chemin. Je n’ai pas le temps d’être retenu. De temps en temps je me dis que ce serait chouette d’être posé avec quelqu’un, et puis je réalise que je ne le supporterais pas, je m’impatienterais trop, alors je me souviens que cette vie est exactement celle que je veux, même s’il y a des moments plus difficiles que d’autres.

Qu’est-ce que je me suis senti vivant pendant que ça frittait avec X! Qu’est-ce que c’était bon! Bien mieux que ces demi molles du développement personnel ou des masterminds.

Avec Trevor à Toronto aussi c’était vivant.

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J’écris parce qu’il y a en moi ce besoin de poser sur la page, cette “maladie de minuit”, cette configuration neuronale particulière. Et parce que c’est une activité méditative qui calme mes tempêtes. J’en ai besoin pour garder mon centre. Pour évacuer le trop plein. Ce n’est même plus une question de carrière ou de vocation, c’est un outil de survie émotionnelle et psychique.

Et comme la pratique amène la perfection, plus j’écris, meilleur je suis alors peut-être que quelqu’un quelque part pourrait trouver un écho dans mes mots (quel tic de langage!) quand je parle d’un écho, je parle d’une perche à laquelle se raccrocher dans le mouvement d’aspiration de la dépression, dans le vertige du monde, quand la réalité semble se déliter et que le monde autour s’effrite, l’illusion du monde plutôt. Ce n’est pas juste un écho. C’est une balise. Un cri d’alarme en même temps qu’une bouée de sauvetage. Je n’écris pas pour me divertir, je n’écris pas pour être célèbre, j’écris pour survivre. D’autres boivent ou s’abrutissent de télé, de sorties, s’enferment dans un cycle infini d’urgences quotidiennes pour oublier qu’ils tombent en permanence. Je n’ai pas besoin d’un groupe de mastermind, je n’ai pas besoin des autres autant que j’ai besoin de solitude et de retrait du monde pour, justement, continuer à percevoir le monde.

Mes mots sont ma position du lotus. Mes temps d’écriture sont mon zazen. Les histoires, les histoires sont l’effet secondaire, le produit dérivé d’une stratégie sanitaire.

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Même tes excuses sont hypocrites et en agression passive. Mépris, double mesure, tu coupes les derniers filaments d’estime que j’avais pour toi. Il n’en reste rien. Je saurai être cordial, n’attends rien de plus de moi. Je saurai maintenir l’illusion de l’amitié, la surface du respect mais je ne serai qu’indifférence à ton égard. Tu me raconteras tes dernières aventures et je serrerai ton épaule en pensant à autre chose.

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Je reste subjugué par l’obstination de l’Homme à inventer des récréations à l’intérieur de la vie, des parcs d’attraction à l’intérieur du parc d’attraction, c’est comme si en allant à Disneyland, on me proposait de passer par Mickeyland, un parc avec ses propres attractions. La vie elle-même est la récréation, une courte pause au milieu de l’éternité, une respiration pour atomes emportés dans une grande course vers l’infini.

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Enfin voilà, quoi. Il y a une bonne histoire là, sur une amitié qui démarrait pas trop mal et qui, d’un seul coup, bascule, pour une histoire de cul qui n’a même pas eu lieu. Si au moins j’avais couché avec sa copine, mais je n’en avais même pas envie!

Bah.

Qu’écrit Djian pour Eicher, déjà ? “Je n’aurais rien appris, il n’y a rien à comprendre”. C’est ça. La vie est absurde. En tout cas cette portion. Explosion hors de proportion d’une anecdote. Je n’ai pas vu le tournant qui a été pris. J’ai jab jab jab, esquivé, et uppercut, droite dans l’estomac, jab, jab, jab, punch ! J’aime, j’aime.

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Ce jeu de la vie, certains le prennent trop au sérieux. X est de ceux-là. Ses peurs lui ôtent tout discernement, tout sens des proportions. Il n’hésite pas à museler le plaisir de ses amis s’il se fait menaçant pour le cocon de sécurité dans lequel il s’est enfermé pour échapper à la réalité. On ne peut pas lui en vouloir. La grande majorité de ses contemporains font de même, s’aveuglent de rationalisation égotique pour s’éviter de regarder le monde en face, pour s’éviter les émotions qui font l’existence, son sens, son sel. L’équilibre émotionnel c’est la faculté à revenir à la sérénité quand on le souhaite, c’est choisir de vivre des émotions fortes lorsque celles-ci se présentent, parce qu’elles sont plaisantes, parce qu’elles justifient le temps que l’on passe ici, enfermés dans une matière trop étriquée, dans des corps qui peinent à retenir la grandeur de nos âmes.

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Persister dans le “vous” c’est s’offrir une coquetterie à une époque où tout n’est qu’étalage pornographique. On étale son intolérance, on étale ses instincts autocratiques ; sous couvert d’authenticité et d’individualité épanouie, on bafoue le droit à la joie et à l’euphorie de l’autre. “Ton plaisir me dérange, il me déplaît parce qu’il m’exclut, tu me feras le plaisir de ne pas recommencer”.

“Je ne permets pas, Monsieur, que vous brandissiez le nom de notre amitié pour justifier de votre tentative de musèlement de mes libertés”. Ça a davantage de classe, non ? cette formule, qu’un “tu te prends pour qui, connard ?” trop familier.

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Je n’ai pas écrit le texte sur le candaulisme. Je n’avais pas envie. Pas le courage. Pas la patience. On en laisse passer certaines, c’est ok.

Pour déplaisante qu’ait été cette pause d’écriture, elle était nécessaire. J’ai rempli le puits, et tout le reste.

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Sur mon mur il y a encore le moodboard de mon histoire de pirates. Je n’ai pas tourné la page. Je suis en suspens. J’attends. Je voudrais écrire d’autres choses. Je ne le fais qu’à moitié.