J’aimerais savoir qui a fait cette image, là, au-dessus, parce que ça me permettrait de créditer l’artiste, mais je l’ai trouvée sur Reddit…
J’écoutais Simon & Garfunkel récemment et dans America j’aime cette phrase: « Kathy I’m lost, I said though I knew she was sleeping ».
L’ambiance de cette phrase, pas juste la phrase elle-même, m’a envoyé des vibrations que j’ai aimées, un peu de nostalgie, des souvenirs de trajet en bus avec Aurélia en Suède, et le sentiment de passer à côté.
Mais ces sentiments, je ne les ressens plus. Ma vie va bien, je sais où je vais, je suis sur des rails que je me suis forgés. Je ne rêve pas d’une autre vie mais seulement de vivre celle que j’ai fabriquée pour moi.
Pourtant cet état, ce sentiment de nostalgie pour les vies non vécues, pour les rêves abandonnés, pour les choix qui n’étaient pas pour moi, cet état est propice à l’écriture. Un peu de mélancolie, un peu de douleur et d’amertume. J’aime l’idée de cet état, j’aime aussi sa saveur, le poids qu’il invite dans mon esprit et mon regard.
Ce n’est pas un bon état pour vivre. Pas pour tous les jours. Même quand on est Hank Moody. C’est l’état qui pousse aux dépendances et au suicide et à toutes ces choses dont il semble intéressant de se passer si l’on veut vivre pleinement – après tout, le monde est plein de merveilles quand on le regarde avec lucidité.
Ne pas vivre cette nostalgie pour mes vies non-vécues, pour l’audace que j’aurais aimé avoir, pour ces compromis que j’aurais toléré, ne m’empêche pas d’écrire sur des personnages qui la ressentent. Ce sont, après tout, les personnages qui ont peuplé mon imaginaire depuis toujours.
La sensation d’être perdu apporte avec elle le souffle des histoires romantiques que j’aime écrire. Je peux la fabriquer. En mettant la bonne musique, en écrivant le soir si je ne suis pas trop fatigué, les lundi et certains weekend, quand O. est chez sa mère.
Au mois d’août, pendant deux semaines, je trouve précisément ces émotions après lesquelles je cours, la mélancolie, la tristesse d’être en vie, le sentiment de tendre la main vers des rubans d’existence qui s’effilochent. En vain.
Écrire de la fiction permet de visiter des territoires étrangers, d’aller là où la vie ne nous emmène pas, là où nous ne souhaitons pas qu’elle nous emmène. Dans la vie, malgré mes fréquentes crises existentielles, je suis plutôt solaire. Mais j’aime une fiction sombre, une action de la lose.
Plus le temps passe plus l’écart se creuse entre la vie que je vis (plutôt tranquille et inintéressante: j’amène mon fils à l’école, j’écris, j’aide des auteurs à écrire, je vais chercher mon fils à l’école, j’écris (ou je dors) et rebelote) et la fiction que j’ai envie d’écrire (une fiction où les pères abandonnent leur enfant, où les enfants fuguent et se retrouvent dans la rue, où les couples se font et s’abîment, et les carrières explosent en vol après que l’on ait consacré toute son énergie et tout son temps à des patrons indifférents, que cela se passe dans l’espace ou sur Terre, et de préférence dans un futur proche marqué par le manque de ressources, le désespoir et l’anarchie).
Quand j’ai écrit Recharger ? on m’a demandé pourquoi j’avais une vision pessimiste de l’avenir. J’ai réalisé que ce n’était pas le cas. J’ai confiance dans la créativité, dans la technologie et dans l’instinct de survie de l’humanité [même si je commence à revoir ma copie] mais je crois que l’un des rôles de l’auteur de fiction c’est d’imaginer comment le monde pourrait être, pour avertir et infléchir le cours du temps.
Que serait le monde si Orwell n’avait pas écrit 1984 ? On n’a pas une grande vigilance quant à la surveillance permanente à laquelle nous sommes soumis, mais cela serait-il pire si l’on n’avait pas été averti ?
Bah.
Je me pose des questions qui n’ont pas de réponse.
C’est une affaire de foi, l’écriture. On ne sait pas à quoi elle peut aboutir. Peut-être qu’elle ne sert à rien, peut-être qu’elle a le pouvoir de dessiner l’avenir du monde (et son présent).
J’aime écrire à partir de sentiments sombres. Je n’aime pas vivre avec ces sentiments. Ça me rappelle l’époque où j’aimais l’idée du café mais pas le goût du café. Je me servais des mugs de liquide noir juste à cause de l’image que j’en avais.
C’est aussi une des fonctions de l’auteur, je crois, de percevoir l’impact d’une idée, d’une image. Et de prendre la responsabilité de celles qu’il crée. Chaque livre est une forme de propagande. Chaque livre a le pouvoir de faire naître dans le monde de nouveaux paradigmes alors en tant qu’auteur je réfléchis à ceux que je dispense dans mes histoires.
Je dis ça et il y a longtemps que je n’ai pas publié un texte. « Combien de temps ? », m’a demandé une copine récemment. Je crois que ça faisait quatre mois. « C’est longtemps, ça, pour toi ? » elle m’a demandé.
J’ai répondu que oui mais je n’en étais plus si sûr. Surtout que je n’ai rien à dire en ce moment. Et que je travaille sur des projets plus longs. Des réécritures. Des écritures. Des trucs funs que j’ai repoussés trop longtemps et qui ne sont pas mélancoliques.
Dommage, peut-être que c’est un truc saisonnier.
Il paraît que c’est important d’apprendre à gérer ses états émotionnels, de ne pas se laisser déborder par eux. Le paradoxe pour un auteur c’est qu’il faut aussi qu’il soit capable de les retrouver à volonté et de les provoquer et de les vivre quand il a besoin que ses personnages s’y retrouvent.
Il paraît que c’est quelque chose que je sais bien faire: passer subitement d’un état à l’autre. Et il paraît que ça déstabilise les gens. Moi je vois surtout que ça me permet de contribuer au monde exactement comme j’ai envie d’y contribuer. Alors je continue. Et si j’ai l’air d’errer, vous saurez que c’est par choix et pas parce que je suis perdu.