C’est ta faute

Les doutes existentiels, les joies, l’ambition, la sexualité, l’amour, j’ose dire. Je n’ai pas de problème à parler, à dire, à discuter. Mais ma peine. Ma peine, quand elle est vraie, je la garde pour moi. Je souris en disant « tout va bien » et je m’en détourne.

Elle gratte dans mon coeur, avec ses petits ongles à peine griffus et ses bras fatigués et elle soupire: « écoute-moi, prends soin de moi ».

Je connais les départs. Toujours de passage, je ne suis jamais resté plus de cinq ans dans la même ville, toute ma scolarité j’ai changé d’école (d’amis, d’amours, d’avenir) tous les deux ans.

Je le connais ce déchirement du lien que l’on rompt.

Les renards lorsqu’ils sont apprivoisés vont leur chemin. C’est dans l’ordre des choses.

Cela m’a fait sourire, en cherchant cette citation, de voir que l’on retient surtout l’abstraction de « l’essentiel est invisible pour les yeux » et de « tisser des liens c’est quelque chose que les hommes ont oublié », mais qu’aucune carte postale ne s’attarde sur la partie très tangible de la peine du départ et sur le morceau de bonheur qui existe au-delà de cette peine.

Comme à la fin du livre, quand le petit prince va pour mourir et dit « ne viens pas, tu risquerais d’avoir de la peine ». Et la conclusion sur les étoiles-grelots.

Tout le monde veut bien l’euphorie de la rencontre et tout le monde voudrait échapper à la peine de la séparation, et pour échapper à cette peine, on oublie les champs de blé et les étoiles qui savent rire.

C’est pourtant ça le plus important.

Je n’ai pas peur d’avoir mal. Je ne crois pas que la vie soit meilleure lorsqu’elle est recouverte d’un voile de brume rosée, de cette joie constante et souvent artificielle. Être triste, c’est prendre le temps de dire au revoir, à bientôt et merci pour Birdy, et pour Selina, et pour Harley.

Et prendre le temps de dire dommage pour tout ce qu’on n’aura pas eu le temps de faire. Et accepter cette nostalgie là aussi.

Il reste, partout, des traces de ton passage qui donnent sens à mon monde. Des lieux où plane l’écho de tes pas, les 62 morceaux d’une playlist incomplète, et une scène ruinée dans Blade Runner ; le DVD défacé d’une comédie romantique américaine sans intérêt … Des étoiles qui rient et des champs de blé.

Vivre, ça n’est pas ne jamais souffrir, c’est apprendre à accueillir la tristesse au même titre que le reste, c’est être heureux de la souffrance lorsqu’elle est le signe d’une ouverture sans frein, la conséquence d’un coeur offert plus qu’il n’a été enfermé sous son armure.

Et je m’arrête là.