51%

Immanquablement, ce que je lis sur le sujet, se résume par « tu as réussi dans ta carrière, maintenant, donne du sens à ta vie ».

Je ne trouve pas d’ouvrages qui présentent les choses sous cet angle : « tu as donné du sens à ta vie, et maintenant ? ».

Par « sens », j’entends vivre en accord avec ses valeurs au moins 51% du temps. J’entends avoir la liberté de prendre ses propres décisions au moins 51% du temps. J’entends pouvoir se détourner sans conséquence de situations qui nous dévitalisent et nous diminuent, au moins 51% du temps.

J’insiste sur 51% du temps. Ça paraît peu mais c’est la majorité du temps. Et 51% c’est une victoire. Ça ne veut pas dire qu’on vise 51%, c’est un point de départ, le fond du puits. Si on tombe en-dessous, les sirènes d’alarme retentissent et le compte à rebours s’enclenche. Notre vie est en danger. À partir de 51%, pas de danger. Pile 51% ça laisse beaucoup de place à la frustration. entre 49 et 51, il n’y a pas une grande différence de ressenti mais la nuance est cruciale. À 49% je ne vis pas ma vie. À 51% je la vis.

Évidemment, on a tous envie de viser 100% mais ce n’est pas possible. Pas si on veut être en relation avec les autres humains, avec la nature, avec le monde extérieur en général, avec la vie à l’intérieur de notre propre corps. Exemple : il y a des moments d’épuisement où l’on aimerait continuer sur les tâches qu’on s’est données mais le corps et l’esprit disent « stop ».

Bref. La crise de la quarantaine. Ou n’importe quelle période de pivot dans la vie.

« Tu as réussi dans ta carrière » signifie que tu as pris ta place dans la caverne. Tu as adhéré aux règles du jeu et tu as performé.

« Maintenant, donne du sens ». La plupart des bouquins sur le sujet disent, en substance : « arrête de te conformer aveuglément à ce que la société veut de toi et demande-toi ce que toi, tu veux ».

Une amie américaine avec qui je bossais, qui avait le même questionnement que moi mais avec 10 ans d’avance sur la question, disait : « nous les artistes, on se trompe, on prend la vie à l’envers, on se concentre sur la réalisation de nous-même avant de nous intéresser à notre confort dans la société » (je paraphrase).

Je partage la frustration de tous les efforts fournis pour se réaliser et la déception du peu de reconnaissance, du peu de « réussite » au sens où la société l’entend (n’importe quelle société, notez. Je parle à partir de ma culture mais n’importe quel individu dans n’importe quelle culture doit trouver sa position juste entre réalisation intérieure et inscription dans le collectif — note que ce n’est pas forcément dans l’opposition que ce positionnement doit se faire).

Je ne partage pas la conclusion. On n’a pas fait les choses à l’envers. Je crois, moi, que ce sont les autres qui font les choses à l’envers. Commencer par le collectif sans s’occuper d’abord de l’individuel c’est ouvrir la voie à toutes les névroses. Passons là-dessus, c’est un sujet trop vaste. Je crois que le fait qu’on se soit concentrés sur la réalisation individuelle avant de nous préoccuper de notre réussite sociale nous permet d’apporter plus au collectif. On apporte une expérience différente, singulière, susceptible de contribuer à l’évolution commune en apportant de l’innovation (qui peut être émotionnelle, esthétique, spirituelle, relationnelle, morale, pas forcément technologique), en invitant à un autre rapport au monde.

On ne peut le faire, ça, inviter à un autre rapport au monde, de manière sereine que si l’on est en paix avec soi-même et avec sa place dans la dynamique soi-le groupe.

Pas évident. Mais si ça marche 51% du temps, on est sur la bonne voie. Après, c’est une question de renforcer les routines qui feront monter la jauge.

L’autre pivot de la 40aine/50aine, celui à propos duquel j’ai beaucoup de mal à trouver des ressources, c’est « Ok, tu as donné sens à ta vie, comment vas-tu développer ta réussite sociale ? »

Quelque chose comme ça.

Quelque chose qui ne soit pas juste « tu as bien performé dans ta carrière, et maintenant ? »

Quelque chose qui élargisse l’individu.

À méditer.