La vraie nature de la générosité

Elle m’écrit: « Je n’ai jamais pu être si sincère, si simple et si authentique. Merci de m’offrir cet espace et de me donner cela de toi aussi. C’est si précieux. J’ai du mal à réaliser que ce soit possible, si simplement. »
D’autres aiment compliquer les choses simples.
Moi je navigue et je crois ne rien mériter des choses qui m’arrivent. Cette idée de ne pas être à la hauteur, de ne pas être assez, c’est une saloperie qu’on n’a pas choisie. Peut-être que dans une vie antérieure j’étais vraiment un castor ou peut-être que je ne fournis pas assez d’efforts dans celle-ci pour justifier d’obtenir ce que j’obtiens.
Je suis un homme difficile à aimer. Je ne sais pas recevoir, j’ai besoin d’immenses gouffres de solitude qui me happent et me font disparaître des radars pendant plusieurs semaines parfois, toujours sans prévenir, j’ai des vices et des perversions que je tâche d’assumer. Ce sont des choses que j’apprends à ne plus combattre, parce qu’elles naissent de mes besoins psychiques.
Mercredi je discute de procrastination et j’ai envie d’introduire cette idée que nous procrastinons souvent sur nos besoins psychiques, on repousse le moment de s’occuper de soi, de laisser mûrir les idées, de laisser s’évaporer les émotions. On met tout sous le tapis. On verra plus tard. Il sera toujours temps, quand tout aura trop enflé, de nous occuper de la masse grouillante qui gonfle le tapis. Après tout, ce n’est pas urgent de rire, de pleurer, de dire stop. Plus tard, toujours plus tard.
Alors nous émoussons notre sensibilité et nous devenons insensible aux manifestations de nos besoins.

Nous avons peur, aussi, de les exprimer, des fois qu’ils heurtent l’autre, des fois que nos besoins menacent les besoins de l’autre. Que se passera-t-il alors ? Que se passe-t-il en cas d’incompatibilité profonde de nos besoins ? Tu veux me voir, j’ai besoin d’être seul ; je veux parler, tu as besoin de silence ; j’ai besoin de diversité, tu as besoin de sécurité. Comment faisons-nous ? Est-il possible de concilier nos besoins ? Est-il possible de les hiérarchiser ? Faut-il que l’on alterne: un jour ton besoin, le lendemain le mien ? Et devenons parfois nous résoudre à ce qu’il n’y ait rien d’autre à faire que de constater que: ça ne colle pas, nos besoins sont incompatibles.

Et alors ?
Si cela arrive, est-ce si grave ? Dans notre précipitation à ne pas écouter les nuances de notre vécu intérieur, nous avons créé de grosses boîtes et jeté en vrac tous les petits billets envoyés par notre système émotionnel. On dirait mon système de comptabilité: une boîte à chaussure et des reçus en vrac.
Comment voulez-vous que l’on s’y retrouve ?
Si l’on reconnaît que nos besoins sont incompatibles, la chose saine à faire c’est de redéfinir la relation, de chercher quels besoins elle peut satisfaire, et si elle n’en satisfait aucun, se faire un gros câlin, se regarder droit dans les yeux en faisant défiler tous les bons souvenirs, se dire « Merci », et partir chacun de son côté.
Au lieu de ça, quand nous piochons dans la boîte à chaussure les souvenirs vecteurs de gratitude, la conscience que la relation ne marche pas, nous piochons en même temps notre peur de l’abandon, notre peur de la solitude, les souvenirs de notre père en train de dire « tu finiras vieux garçon avec ton caractère », de notre mère en train de dire « tu vas me laisser mourir sans que je sois grand-mère », nous prenons aussi des choses qui ne nous appartiennent pas, comme la pression sociale (finir vieux garçon c’est échouer à la vie), la culpabilité vis-à-vis de besoins qui ne sont pas les nôtres. Alors nous nous trompons de cible, nous nous accrochons à des gens qui ne nous permettent pas de nous épanouir, nous restons englués dans des situations (professionnelles, amicales, amoureuses) néfastes, juste parce que nous n’avons pas pris le temps de ranger nos vécus psychiques, de séparer nos besoins des besoins des autres.

Or si je passe ma vie à répondre aux besoins des autres, ce n’est pas moi qui trouverai l’épanouissement, pas vrai ? Et si je ne consacre pas mon attention prioritaire à répondre à mes besoins, je ne pourrai jamais ni être épanoui•e ni découvrir tout ce que je peux offrir au monde en retour, je ne peux pas contacter cette lumière qui existe au centre de mon être, qui est moi dans tout ce que j’ai de plus authentique, de plus singulier, et de plus généreux.
Être pleinement soi c’est la plus grande des générosité. On vous dira « c’est égoïste de ne penser qu’à ses besoins », c’est oublier ou même nier l’interrelation qui définit le monde, comment chaque chose, en étant exactement ce qu’elle seule peut être, influence les éléments de son entourage. L’arbre, parce qu’il est arbre, accueille l’oiseau, la terre accueille la graine aussi bien que le ver de terre qui la nourrit.
Ce qui est vrai pour l’écosystème naturel l’est tout autant de l’écosystème social. Quand je suis moi sans concession, quand je respecte mes besoins sans négociation (avec moi-même s’entend, il peut être sain d’accepter des compromis avec les autres, dans ce cas, il est impératif de se demander: « comment respecterai-je mon besoin autrement ? » parce que nous sommes des êtres créatifs et nous trouvons mille manières de répondre à nos besoins, et aucune de ces manières n’est réellement tributaire d’autrui), quand je me donne comme règle éthique principale d’être à l’écoute de ce qui est bon pour moi, alors je peux exister avec autant de majesté que l’arbre, ou la terre, ou la graine, la fleur ou le ver de terre. Et alors, à mon contact, sans que je n’aie besoin de savoir ni comment ni pourquoi, les autres peuvent à leur tour s’épanouir, grandir, apprendre.
Tout comme j’apprends des autres grâce à qui ils sont, exactement, dans leur réalité la plus crue.

Pour faire simple : être soi, c’est la seule manière d’être qui soit généreuse à la fois pour soi, et pour les personnes qui nous croisent, nous côtoient ou nous fréquentent dans l’intimité. Cessons de vouloir nous substituer aux autres. Exprimons nos besoins tels que nous les ressentons. Et laissons la vie faire le reste.