Theremin

Vers la minute 11’50

« Parfois quand je bois trop de café… » et ce qui suit (jusqu’à, à peu près, la minute 14)

L’équilibre créatif, l’équilibre de vie, émotionnel, etc…. sont liés de façon indissociable. Beaucoup de gens n’ont pas envie d’entendre ça.
Ils préfèreraient peut-être que la vie créative soit libérée de la vie tout court. Beaucoup de mes clients viennent me voir pour que je leur enseigne les techniques de l’écriture et je leur réponds: « je peux, mais ça ne vous servira à rien si nous ne travaillons pas aussi, et en priorité, sur vous, votre capacité à ressentir et à observer, à accueillir et à être, parce que créer c’est exprimer une partie de ce qu’il y a en soi et parce que ce qui bouge en soi peut parasiter la créativité si l’on ne sait pas détacher les deux vécus ».

Alors pas mal de gens partent. Ils disent: « oui mais ce que je veux c’est la technique », comme si la technique pouvait suffire. Alors je leur apprends la technique et ils commencent à écrire et au bout d’un moment ils me disent: « je ne comprends pourquoi mais je n’y arrive pas. J’ai l’impression de faire ce qu’il faut, pourtant ».
Alors je leur demande comment ils se sentent, et ce qui arrive dans leur vie, et ce que l’histoire qu’ils sont en train d’écrire provoque en eux à un niveau émotionnel.

Alors commence le travail. Les résistances, l’inconfort, l’envie de ne pas regarder ce qu’il se passe.

Faire, créer, inventer, une œeuvre, ses relations, sa vie, cela demande du discernement.

Pendant que je travaille à ce projet, je dois faire le calme à l’intérieur de moi, laisser passer les émotions, les pensées parallèles, les associations d’idées qui concernent d’autres sphères de mon être et de mon activité. Sinon, les notes manqueront de stabilité, sinon le son sera moins pur.

La discipline qu’exige la décision d’être l’auteur de sa propre vie c’est aussi la discipline du discernement. Apprendre à reconnaître ce qui est lié au projet et le distinguer de ce qui a trait à autre chose ; savoir dire « Non » aux distractions quand elles sont un évitement mais savoir reconnaître notre besoin de distraction quand il est un besoin de respiration.

Couper le téléphone, refuser les sorties, préférer la solitude, se reposer, savoir dire: « voilà de quoi j’ai besoin ».

Nous ne sommes pas venus à la vie pour divertir les autres. Nous sommes venus pour construire une vie dont nous soyons fiers. Cela demande de préférer les activités qui nous aident à construire cette vie plutôt que celles qui nous en détournent.

Et c’est un peu ce que le theremin dit à travers Pamelia Stickney dans la vidéo en tête de cet article.

Si nous décidons de réaliser l’impossible, c’est parce que nous pressentons que c’est dans la quête de comment nous pourrons y parvenir que se joue la rencontre avec notre plein potentiel, avec la plus grande de nos richesses intérieures. C’est en poursuivant ce qui nous semble inatteignable que nous nous invitons à développer des ressources qui, jusque là, nous manquaient.

Cette croissance infinie s’accompagne de la nécessité d’apprendre, qui elle-même exige de ne pas savoir faire. Ne pas savoir, c’est inviter de la confusion dans sa vie. Ne pas savoir est déroutant à n’importe quel âge et il faut avoir appris à naviguer le flou d’une activité que l’on ne maîtrise pas encore et que l’on ne comprend parfois même pas.
Quand je prends des cours de chant et que mon coach me demande de reproduire avec la voix une note qu’il joue au piano, j’y arrive mais je ne comprends pas ce que je fais, et je déteste ça. Comment puis-je le reproduire à l’infini si je ne comprends pas la mécanique qui est en jeu ? Comment puis-je me corriger si je ne comprends ni ce que je fais ni comment je le fais ?

Je le vois sur mon fils de sept ans aussi bien que sur mes clients de plus de quarante: faire quelque chose sans savoir le faire est perturbant et, pour certains, presque impossible. Cela revient à skier dans la brume ou traverser un tunnel sans lumière.

Je me souviens d’une nuit où je dormais chez mes grands parents. Je devais avoir 9 ou 10 ans. Je me suis réveillé en plein milieu de la nuit avec la vessie prête à déborder mais impossible de me repérer, j’étais désorienté. Je ne sais pas si les meubles avaient changé de place depuis ma précédente visite ou si mon cerveau avait mal évalué ma position dans la pièce, mais je me revois en train de ramper sous une table, d’escalader le montant du lit, à la recherche d’un mur, d’un interrupteur, d’une poignée de porte, n’importe quel élément me permettant de me repérer.

Ça n’a pas duré longtemps et j’ai réussi à me retenir de me pisser dessus mais la sensation de déroute est restée ancrée en moi. L’absence de repères dans un endroit familier. C’est exactement ce que propose la créativité, qu’on l’utilise pour créer des œuvres ou pour inventer sa vie.

Ce non-savoir, cet espace dans lequel l’ego s’abandonne pour faire place à autre chose, à ce qui cherche à s’exprimer en soi, à ce qui veut jouer avec nous dans l’acte créatif, cette chose que Lynda Barry cherche à définir dans What it is et Syllabus, cet inédit, ce chemin à tracer, c’est ce qui donne son relief à la vie. Et pour l’atteindre, il faut faire le calme en soi, parce qu’il est comme le theremin, sensible à la moindre variation, au moindre tremblement.

Je parle de cet inconnu et des méthodes qui permettent de l’accueillir avec sérénité dans mon livre L’artiste est un athlète comme les autres. J’y parle aussi de la vie créative et de son importance, du rôle qu’elle joue dans la construction, pour soi, d’une vie qui mérite d’être vécue. Parce que créer, c’est honorer ce qui vibre en nous, cette inextinguible volonté de devenir, cette force désirante qui distingue le vivant du mort.