Aventure

Il n’y a pas d’action sans risque. Le manque de ressources n’existe pas. Si la nature nous apprend quelque chose c’est bien cela, la nature c’est la ressourcefulness, le fait de trouver des ressources — quitte à les créer au besoin. La vie est un joyeux accident, une courte explosion d’exaltation au milieu du néant. La réalité est une alliée, pas une ennemie. Au pire est-elle une adversaire au sens où un partenaire de jeu est un adversaire, quelqu’un qui fera tout pour pimenter la partie afin de nous pousser au dépassement.

Vivre comme on tiendrait un dialogue entre le rêve et le réel, où nos actions visent à provoquer une réponse à laquelle nous pourrons proposer une nouvelle réponse, plus adaptée ou radicalement différente. La vie aventurière n’a d’autre objectif que l’exploration (de soi, du monde, de l’autre), la curiosité et l’exaltation. Le réalisme, la rationalité, les notions de succès ou d’échec n’ont pas cours ici. Seuls comptent l’audace et le panache, le faire pour le faire. Prendre la vie au sérieux c’est ne pas craindre ses étapes, ne pas craindre l’inconfort, ne pas craindre sa propre fragilité ni la possibilité de la mort.

L’esprit d’aventure est incarné par l’archétype des pirates du XVIIe siècle, par les explorateurs partis à la recherche de nouveaux continents, mais aussi par les astronautes, les troubadours du Moyen-Âge, les agents libres qui savent se contenter de peu pour vivre tant qu’ils ont les coudées franches pour poursuivre leurs explorations.

On n’est pas aventurier parce que c’est raisonnable, on l’est parce que la peur ne nous effraie pas. L’aventure c’est une entreprise à l’issue incertaine, qui comporte un risque non négligeable de dégringolade sociale, de ridicule, de maladie incurable ou de mort. Elle comporte une chance non moins négligeable de succès spectaculaire, de fierté, de reconnaissance sociale et de découverte pour le service de l’humanité.

L’aventurier peut sembler agir pour la réussite. Il peut affirmer (et se faire croire) qu’il agit en vue d’accomplir un objectif mais il ne se lance dans l’exploration que par goût de l’aventure. Ce qui le porte c’est l’incertitude, l’improbabilité de l’issue de ses actions, le mystère quant à la manière dont il s’y prendra pour accomplir ce qu’il s’est donné à accomplir.

On reconnaît l’aventurier à ce qu’il a la bougeotte. Dès que les choses stagnent, dès qu’elles se répètent, dès qu’elles sont trop certaines, il se lance dans un nouveau projet, souvent un projet pour lequel il n’a aucune expérience. Souvent un projet à haut risque.

L’aventurier se moque de croissance – personnelle ou financière. Il se moque d’avancer ou de reculer tant qu’il est en mouvement. Il paraît sans foi ni loi parce qu’il est curieux d’agiter la réalité et parce qu’il sait en son for intérieur qu’il y a toujours une possibilité de se réinventer, de réinventer une relation que l’on croyait morte, de réchauffer une piste que l’on croyait glacée.

Il ne croit pas à l’immuabilité – à part celle de la mort, encore que certains jours il en doute. Il associe l’objectif de calme et de stabilité à une mort pire que la mort elle-même : une mort vécue de son vivant.

L’aventurier n’est pas pour autant dénué d’intelligence. Il ne se lance pas sans une chance de succès. Son plaisir vient de la tension entre une compétence élevée et un risque juste assez élevée pour rendre l’issue improbable. Il mesure, calcule, optimise ses chances. Il ne se jette pas à corps perdu dans une entreprise perdue d’avance. Il n’y a pas de panache là-dedans. Le panache naît de la victoire à l’arrachée, de la défaite sur le fil. C’est la tension qui l’anime, pas le résultat, il est bon de le répéter.

L’aventurier n’a rien à prouver. Il n’attend rien en retour de son engagement. Quand on lui demande pourquoi, il agite sa réponse préférée : « pourquoi pas ? »

Il y a une dizaine d’années, je rencontrais Cécile pour la première fois. Nous prenions une bière et je lui disais « je cherche ma prochaine aventure ». Depuis j’ai vécu des tas de choses formidables, et je suis à ce point à nouveau, à ce point où tous les possibles sont ouverts à nouveau. Où je tourne en rond dans une vie ronronnante. Où je cherche activement ma prochaine aventure !