Il regarde le calendrier qui a déjà englouti la moitié d’une année, les lettres d’huissiers, les messages en attente de sa banque. Il soupire. A l’intérieur, ça va, il se sent plus aligné que jamais, authentique et heureux. Mais ces poids à ses pieds, en forme de sacs d’or, l’empêchent de s’envoler.
“C’est donc ça : être fort et tenace, la lutte, tout ce que je trouvais très romantique quand j’étais adolescent, c’est donc la sueur versée, quand tout le monde dort, pour préserver ma liberté.”
Les chansons parlant de cicatrices, de bataille menée. L’idée de tomber et se relever sept fois devenue réalité maintenant qu’il porte lui aussi les traces du parcours. La vie était cette excursion en montagne hors des sentiers battus, le genre qui offrait son lot de griffures et d’écorchures. Il l’aimait, sa vie, même si c’était combat après combat. “Tu es un survivant” lui avait dit la Chamane sans le connaître. Quelque part un peu maso peut-être, il aimait ça.
La vie en bricolage. Ni gourou ni patrie. Il se méfiait des leçons toutes faites mais engloutissait les témoignages venus d’un autre temps. Marc Aurèle, Saint Augustin, Kant, Nietzsche, et les autres. La seule chose qu’il avait apprise c’est que toujours l’humanité avait improvisé sa vie. Il ne pensait pas souvent que cela eût été plus simple de suivre l’exemple des autres et de rester sur les rails d’une vie déterminée d’avance par la peur, l’ignorance et la fragilité. Il concevait, quelque part dans son intellect, avec un gros effort d’imagination et de rationalisation, que d’autres avaient non-choisi cette option mais malgré ses efforts cela restait abstrait.
“Mon temps m’appartient” affirmait-il juste avant de se plaindre qu’il en manquait.
La vie sans plan. Il s’était rendu ivre de discours motivationnels et productivistes, il avait une vision et un tableau pour la représenter, il avait des objectifs, des systèmes. Il se levait le matin avec des actions claires en têtes. Mais au fond, il n’avait pas de plan. Il découvrait la vie au fur et à mesure, sans trop savoir ce qu’il en faisait. Il ne croyait pas qu’il y ait un sens particulier, on naissait puis on mourait et entre les deux, on faisait des choses, il y avait une citation comme ça. Alors quand il se sentait aligné avec lui-même, même si ce n’était pas un moment d’hyper productivité, il sentait qu’il avait gagné quelque chose et qu’il était sur la bonne voie. Ce n’était pas grand chose, juste l’idée de vivre vraiment. C’était souvent dans des moments sans envergure particulière : en écoutant Fleetwood Mac pendant que la pluie battait dehors, en échangeant des textos avec les femmes qui tournaient autour de sa vie, ses satellites.