Si la vie est une tension constante entre désirs et peurs, chaque certitude que nous avons sur nous-mêmes (« je suis… », « je sais faire… », « j’aime…/j’aime pas… », « je suis confortable quand… ») est un barreau qui nous enferme dans une cage dorée. Dorée parce qu’on la connaît, qu’on y a ses repères, même s’ils sont faits de violence et de souffrance.
Changer est effrayant. Changer est exigé par nos désirs, ces élans de vie qui nous poussent à une réalisation toujours plus profonde de nous. En ce moment je résiste. En ce moment, cela fait deux ans. Je suis devenu meilleur coach, à force d’expérience. Et je reçois de partout cette injonction: « Tu as quelque chose à apporter, continue ». Et en moi cela résiste: Sûr, je prends du plaisir à voir mes clients se transformer, et il y a du jeu dans cette interaction, quelque chose de ludique qui me rend joyeux. Mais c’est autre chose que ce que j’avais décidé. Alors je résiste. J’ai peur de ne jamais finir ce roman qui ne cesse de changer de forme et qui refuse de sortir de moi, j’ai peur de ne jamais être reconnu comme auteur – inventeur de littérature –. Être un technicien de l’écriture, cela n’est pas la même chose.
Pourquoi j’ai peur de ça, c’est une bonne question. Parce qu’au final, c’est une décision arbitraire que j’ai prise à un moment où je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire de moi. A 16 ans, il fallait que je prenne une orientation, et rien dans le monde que l’on me proposait, ne m’attirait vraiment.
C’est par accident que je suis devenu coach. Parce qu’un jour j’ai participé à un atelier d’écriture, et proposé d’en coanimer un, on m’en a proposé un autre, puis un autre, puis un autre, puis je suis allé en chercher, puis j’ai décidé de créer le mien, puis j’ai décidé que je stagnais et je voulais découvrir comment ne pas rester sur la touche de la vie, comment continuer à avancer.
Et j’ai découvert qu’il y avait autre chose qui m’attirait que l’écriture: l’humain et ses blocages, l’humain et cette énergie folle qu’il dépense à ne pas faire ce qui est important pour lui, et j’ai découvert que peut-être qu’écrire n’était plus aussi important pour moi et tout s’est hérissé.
La cage m’a rappelé qu’elle était là, confortable, brillante de tout son or, une cage parfaite qui disait: « je suis un auteur qui n’est pas encore reconnu », « je sais écrire des livres et m’assurer que personne – ou presque – ne les lise », « j’aime quand je peux me plaindre que ça ne va pas comme je veux, que cela prend trop de temps et pas la bonne forme », « je n’aime pas quand on me dit que ce que je fais fonctionne et touche et immerge, parce qu’alors cela veut dire que je suis reconnu et je ne connais pas assez bien ça », « je suis confortable dans cette habitude de dire: « j’écris mais sans plus, pas des choses très intéressantes, de simples histoires d’amour avec du sexe dedans ».
Mais déjà, c’est peut-être des histoires de sexe avec un peu d’amour dedans, et ce sont surtout des histoires de désir ardent, comme ce désir ardent de m’arracher à cette cage dans laquelle je me sens si bien.
Et pour le faire, il faut marcher sur ce fil tendu entre peurs et désirs, et avancer avec les unes et avec les autres, et dire: « je marche au-dessus du vide et je n’ai pas envie de tomber parce que si je tombe je meurs » et ce qui est drôle c’est que tomber peut prendre deux formes: je peux cesser de désirer ou je peux cesser d’avoir peur.
Mais je peux aussi choisir de meilleures peurs. Plutôt que d’avoir peur d’être enfin reconnu, je peux choisir d’avoir peur de ne pas être assez vulnérable et authentique dans ce que j’écris.
L’été dernier, j’ai beaucoup écrit. J’ai écrit des textes techniques dans lesquels j’étais investi à 57%. Depuis cinq jours j’écris beaucoup aussi. J’écris un texte qui n’est pas technique et dans lequel je suis investi à 84%. J’ai peur de ne pas réussir à être à 100% (comme dans ce texte).
Et je crois que j’ai aussi peur de le diffuser et de voir qu’il ne fonctionne pas du tout alors qu’en fait, ce n’est qu’un livre. Ce n’est pas grave s’il ne touche pas un million de lecteurs. Ca me dérange mais c’est moins grave que de réaliser qu’être coach est une activité épanouissante pour moi autant que pour mes clients, et que de ne pas le faire c’est ne pas saisir l’opportunité de m’arracher à cette vision étriquée que je persiste à avoir de moi-même.
J’ai jeté Projet Yama, qui est un boulet que je traîne depuis treize ans. Un roman dont la publication a été annulée par le dépôt de bilan de son éditeur, mais un roman qui m’a été payé alors que je n’en avais pas écrit une ligne. Un montant symbolique et à l’époque (j’avais 22 ans), symbolique c’est tout ce dont j’avais besoin pour croire que je pouvais avancer sur ce chemin. Et c’est ce que j’ai fait ces treize dernières années, inlassablement, sans discontinuer. Et je continue.
Le chemin s’ouvre depuis trois ans, trois toutes petites années, c’est un bébé chemin qui commence à peine à parler, mais qu’est-ce qu’il a comme choses à me dire!
Alors je l’écoute avec attention. Parce que le weekend dernier, improviser pendant 8 heures un coaching de groupe, ça a été un pied immense, bien plus immense – oserai-je le dire – que ce que l’écriture m’a offert ces derniers mois.
Oui, écrire ces mots me dérange. Regarder cette réalité sur l’écran me rappelle ce que Kate m’a dit avant que la dispute de Londres ne coupe le lien entre nous: « Ce qui me surprend, c’est que quand tu parles d’écriture, tu dis « c’est un travail », où est ta motivation ? »
Je n’ai pas voulu m’entendre. Je n’ai pas voulu l’entendre. Je crois qu’il reste quelque chose de cette faim, je crois que brûler les vieux projets a été important parce que cela me permet d’accueillir de nouvelles réalités: mes textes courts, mes textes de cul et d’amour, ce sont eux qui me font plaisir. Avec eux, je m’amuse.
Même si je les trouve banals.
Même si Blade Runner continue à me transporter tout au fond de moi.
Même si j’écrirai aussi d’autres choses.
Entre deux sessions de coaching.
Peut-être. Sûrement. Bientôt. Déjà.
Ok, je flippe. Et sur mes lèvres il y a un immense sourire.