Niveau du blender: 0
“Tu sais que manger des OGM ne fait pas pousser des plantes dans le ventre, hein?”
Je regrette de ne pas lui avoir répondu, avec mon air le plus sérieux, que si, j’étais bien certain que c’était ce qu’il se passerait à plus ou moins long terme, à tous les gens qui en mangeraient.
La scène se passe il y a douze ans. Je suis en train d’écrire un court-métrage intitulé O.G.M. dont la logline que j’improvise devant mon directeur est “Et vous, on vous a déjà planté ?”
L’histoire, en deux mots : un type tombe amoureux d’une fille qui lui fait manger des aliments aux propriétés étranges. Il se retrouve avec un tronc qui pousse au milieu du ventre. A la fin, la fille le plante dans un champ de tournesols avec ses autres ex.
A l’époque je ne savais pas ce que je faisais. Le film était sans grand intérêt puisque le type se laisser balader sans trop faire grand chose. Il n’y avait rien à faire. La portée métaphorique de l’histoire ne m’échappait pas mais si je la percevais c’était seulement à la lisière de ma conscience tant mon imaginaire dirigeait cette écriture. Blender sur 10.
Je manquais de recul mais pas de singularité et c’était déroutant.
Moi en tous cas j’étais dérouté parce que les autres avaient des univers tellement … réalistes. Comment pouvait-on être auteur et rester autant englué dans le monde ?
Sauf Guillaume et Simon, qui semblaient tout aussi déroutés que moi.
Chacun le gérait différemment. Simon s’est barré, Guillaume s’est rebellé et s’est fait virer. Comme d’habitude j’ai fait le caméléon.
Après j’ai écrit des dessins animés parce que je pouvais retrouver un peu de moi dans les génies raton-laveur de cannette et les colibris sauvés des promoteurs cubains, mais rapidement j’ai commencé à étouffer là aussi et il a fallu que je trouve autre chose.
Le volcan qui est ma créativité et qui est furieux de ne pas être complètement libre, j’ai retrouvé la clef qui me permet de le déboucher et la lave commence à s’écouler.
La shaman m’a aidé.
Elle n’est pas la seule.
Ça vient, ça vient.
Probablement pas sous forme de types modifiés génétiquement et certainement pas sous la forme de ratons-laveurs colibris, parce que je suis passé à d’autres choses. Et sans doute pas toujours. Il y aura encore, toujours, des récits plus accessibles. Mais tous doivent sortir. Même les plus métaphoriques.
Et si vous me posez la question, peut-être que je vous répondrai avec mon air le plus sincère: “Ah bon ?” quand vous me demanderez, un rien inquiets, si je sais qu’un humain ne se transforme pas en plante s’il mange des OGM.
Pourquoi cette histoire que j’avais oubliée me revient aujourd’hui, je n’en sais rien. Peut-être parce que j’écris Nez de pluie et que je retrouve plusieurs des motifs de cet imaginaire-là, celui qui n’a pas de filtres, celui qui ressemble à comment mon cerveau marche vraiment. Pas la version caméléonne, la vraie version. La version zébrée.