Solitaire

Solitaire n’est pas introverti.

Le besoin de temps et de solitude pour intégrer les expériences, se demander si l’on apprécie les gens que l’on rencontre, faire sens de soi, de sa vie, de ses envies, ce besoin-là n’est pas synonyme d’être renfermé. On peut être hypersensible et que ça ressemble à de l’introversion sans en être. C’est sans doute difficile à comprendre pour des personnes dont le cerveau fonctionne autrement.

Ce soir, on me demande ce que je ferais si je ne me sentais pas enfermé dans mes circonstances.

À chaque fois, ce qui revient, c’est la route. J’ai des plaies à panser et le voyage (l’acte de voyager, pas la destination) est un excellent véhicule pour ça.

La sécu pourrait les financer, ces excursions.

Bon, évidemment, ça ne m’irait pas, parce que j’ai un idéal d’autosuffisance qui se conjugue mal avec une aide étatique.

Il me faut du temps pour verbaliser les choses qui sont présentes en moi. Souvent parce qu’elles sont complexes. Mon cerveau capte trop d’informations et distingue mal entre elles. Il me faut du temps pour dénouer. Et beaucoup d’incompréhension. Beaucoup de difficulté à communiquer ce qui est là. J’ai une expérience très brute de moi-même. Très intuitive. Passer par le langage n’est pas une évidence. D’où l’écriture, qui ralentit le temps et se nourrit d’une plongée dans le nœud des sensations. D’où la fiction, qui ne cherche pas à expliquer ni à décrire, mais à retranscrire un vécu brut, incarné.

Mon expérience du monde est d’abord ressentie, mais tant que je ne maîtriserai pas la télépathie sortante, je continuerai de m’empêtrer dans le langage pour tenter (vainement ?) de communiquer ce que je vis.

Solitaire par nécessité, pour éviter à mon cerveau d’imploser sous la pression des informations qu’il ingère, je suis d’abord animé par un besoin viscéral d’intimité. L’intimité, pour moi, n’est ni dangereuse ni rare. Elle est la modalité relationnelle qui m’intéresse le plus. Intime, ici, ne veut pas dire sexuel. J’ai observé que c’était souvent un euphémisme que les gens employaient : « on a été intimes » c’est « on a couché ensemble ». Mais intime, c’est tellement plus riche et nuancé que « sexuel ». Sans compter qu’on peut faire le sexe sans avoir d’intimité. Nu, ce n’est pas intime. Nu, c’est juste… c’est comme ça qu’on est tous. C’est banal. C’est juste un corps.

Pardon pour la digression. Intime, c’est parler de ce qui est vrai. Vrai, ce sont les espoirs et les blessures et les peurs et les rêves qui animent une personne. C’est partagé de la profondeur. De la densité. C’est oser frotter ses vulnérabilités. C’est oser voir et accueillir autrui. C’est prendre le parti de l’humain. Pas rester en surface. Pas se disputer pour des différences d’opinion. Pas se sentir heurté parce que j’ai aimé le dernier album de Taylor Swift et pas toi (NB : je n’ai pas écouté l’album de Taylor Swift, c’est une référence à un moment de notre culture des extrêmes). C’est voir au-delà de la différence, au-delà du circonstanciel. C’est se relier, d’humain à humain, de souffrance à souffrance, d’expérience du monde à expérience du monde, sans complaisance ni attente ni signification particulière autre que « parce que j’étais là, parce que tu étais là ». Parfois Souvent c’est tout ce qu’il y a à lire dans l’intime. Une présence. Une écoute. Une attention désintéressée mais qui prend soin de… De recevoir dans l’écrin d’une écoute sans justement, d’une écoute qui ne cherche même pas à comprendre, qui se contente de recevoir, parce que comprendre c’est déjà juger, de recevoir, donc, le fragment d’existence qui est confié par simple besoin de partage, par envie de déposer. C’est là que se joue la connexion intime, dans le fait de confier à ton écoute ce qui est présent pour moi, qui est peut-être joyeux, peut-être vulnérable, peut-être douloureux, peut-être plein d’espoir, sans besoin que tu en fasses autre chose que de le recevoir, et même pas de le garder.

Recevoir, ce n’est pas conserver. On peut recevoir l’humanité de son interlocuteur comme on reçoit l’effluve d’un parfum. Notre attention se tend, on savoure, et on laisse partir. De toute façon, on voudrait le capturer qu’on n’y parviendrait pas.

Il y a quelque chose à dire de la beauté et de la préciosité de l’impermanence.

Une autre fois.