Au début, il y a une texture, une densité ou sa promesse. L’impression de ne rien toucher de tangible. Une sensation fugace. Des mots évanescents. La sensation de devoir avancer à pas feutrés, comme pour ne pas effaroucher le texte qui se tient là, à l’orée d’une clairière ou dans la pénombre d’un sous-bois de l’inconscient. À force de silence, les traits de sa silhouette se précisent. Ce n’est pas encore une forme, plutôt un contour souple, encore fragile, prêt à s’effondrer sur lui-même ou à s’effilocher au vent. Poser des mots, n’importe quels mots tant qu’ils sont chargés de la texture que j’évoquais tout à l’heure.
C’est cela, le seuil, l’entrée dans le texte. J’ose à peine dire « dans mon processus créatif », puisqu’on n’en est pas encore là. Pour l’instant, il s’agit de collecter. Des impressions. De la matière. Des mots dont certains « iront » et d’autres pas, pour des raisons qui m’échappent et m’intéressent peu. Le temps passé à renforcer l’approche analytique n’est pas un temps passé à ouvrir les portes de la perception fine, celles qui sortent de soi et nous branchent à l’inconscient collectif, à sa sensibilité, à sa complainte, à ses espoirs et ses rêves et ses cauchemars et ses désirs secrets et ses espaces de vulnérabilité.
Ce projet, Bloom, se tiendra juste là, sur la ligne fragile de ce qui relie le visible et l’invisible, le tangible et l’intangible, la lumière et la pénombre, la surface et les profondeurs. La première étape du travail consiste à la tendre, cette ligne, la tendre en moi, dans la durée, pour pouvoir ensuite funambuler sur elle le temps de dizaines de milliers de mots, d’une poignée de visages et de graphies anonymes ; d’histoires, d’impressions et de sensations et d’émotions restituées tantôt à l’horizontale, tantôt à la verticale – quelque forme que cette idée dessine.
Au début, il est trop tôt pour parler d’histoire, de ligne d’action, de personnages, de genre, d’univers, de style. Au début, c’est sensuel et sensoriel et impossible à communiquer parce que cela n’existe qu’à la lisière de la perception, trop fugace pour être traduit en mots. Tout reste à construire, à découvrir, à explorer, puis à trier.
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