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On passe sa vie à s’excuser d’exister. Certains s’excusent avec des mots, d’autres avec des gestes (tête rentrée, regard au sol, mains qui se tordent). La plupart s’excusent par leurs silences, par les actions qu’ils n’osent pas, les rêvent qu’ils déposent sur le manteau de la cheminée ou au fond d’une boîte remisée au fond du grenier, avec les cahiers d’écolier et les vieux Journal de Mickey.

On s’excuse d’exister à cause de cette idée que les autres savent sur la vie quelque chose que l’on ignore. On maintient les générations futures dans cette illusion en leur faisant croire qu’il existe des adultes et des enfants. Qu’un jour, ils seront adultes à leur tour et qu’alors ils comprendront ce qui leur échappe maintenant.

Les enfants savent très bien le chaos de la vie et ils n’ont pas besoin qu’on leur tisse le portrait bidon d’un futur ordonné.

La notion d’adulte est un bon moyen pour les plus vieux de masquer leur désarroi, de dissimuler qu’ils sont débordés de toute part et que les questions des enfants les renvoient à leurs propres manquement – ceux des adultes, donc – vis-à-vis d’eux-mêmes.

« Adulte » est ce mot passe-partout utilisé pour mettre fin à toute conversation gênante sur l’absurde, le sens de la vie, et la légitimité de vouloir vivre en grand quand on est sur Terre. « Adulte » est un mot de passe pour dire « résigne-toi » sans se confronter trop fort à ses propres abandons.

Sauf qu’il existe des enfants plus responsables que bien des adultes, et des adultes irresponsables très fonctionnels, merci pour eux.

On reconnaît ceux qui s’excusent d’exister à leur manière de justifier leurs idées et leurs valeurs. Pendant deeees années, c’est ce que j’ai fait. Chercher, dans la philo, dans le monde, des moyens de légitimer ce en quoi je crois, ce que je veux, comment j’aime vivre. Pourquoi ? Parce que l’image que j’ai reçue de la société m’a amené à penser que ça n’était pas bien d’être ce que je suis, ce que j’aime, ce qui me fait sentir vivant et me stimule.

J’utilise un passé, mais ça continue.

Je ne me sens pas à ma place dans le monde.

Tant mieux, en fait, avec le recul, parce que le monde qu’on nous lègue, merci bien mais non merci.

J’ai fini d’écrire pour me justifier. Je veux écrire pour écrire. Partager ce que je suis, fondamentalement. Un mec qui s’anime pour un projet de bouquin, une BD chouette, un jeu sympa. Qui doute, qui souffre de devoir mourir, de devoir perdre des gens. Qui aime vite et souvent. Qui se lasse vite et souvent. Qui s’éclate avec les casses-tête de la vie, les défis, les rêves impossibles. Que les administrations terrorisent, pour qui l’argent est à la fois un grand plaisir et une grande énigme. Qui est dingue de son gosse. Qui aime la solitude et les voyages improvisés, de préférence en ville. Pour qui écrire est une manière de densifier la vie, d’ajouter du vrai à cette réalité qui lui semble tellement arbitraire et tellement accidentelle qu’elle en devient abstraite.

J’arrête d’écrire pour me justifier, mais je ne sais pas comment faire. J’ai été si longtemps sur la défensive que je ne suis pas sûr de savoir faire autrement. Alors je recommence à publier ici, parce que c’est mon espace d’expérimentation et de recherche.

Je ne tiens pas à fausser ma vérité. De temps en temps j’ai le moral. D’autres fois, non. Plus souvent non, ces derniers temps. Ça sera dark. Je n’ai pas peur de descendre dans ma fragilité. Ce sera lumineux, parce que j’ai plaisir aussi à partager mes éclats de joie, mes enthousiasmes et ces curiosités qui m’éclairent le regard.