HT: Élodie Lauret pour son encouragement discret et néanmoins insistant à publier ceci.
Je suis surpris, quand je relis mes textes inachevés, d’y trouver de la justesse. Souvent parce que, quand je les écris, je peste contre leur maladresse. Les mots sortent mais au prix d’efforts qui me paraissent alors insurmontables.
Quand je suis inspiré par un texte inachevé, c’est bon signe. C’est que j’ai encore du jus pour cette histoire et ces personnages. Que je crois encore pouvoir en faire quelque chose.
Ce n’est pas toujours le cas. Souvent j’échoue. J’écris trois romans dans le vide avant d’en trouver un qui me convainque.
Question d’angle. Question d’ingrédients et manipulations. C’est comme en cuisine. Quand ça ne prend pas, ça ne sert à rien d’insister. On jette tout et on recommence.
Je ne suis pas toujours à l’aise avec les formats longs. Ils demandent une certaine endurance. Ou alors de faire abstraction de la vie pendant un temps resserré.
J’ignore quel livre je veux écrire. Je sais simplement le reconnaître. Et même en le reconnaissant j’ignore comment l’écrire. Je me sens misérable, tous mes outils sont étalés autour de moi et aucun n’a la bonne forme, la bonne fonction. Ils ne servent à rien. Je les balaie d’un geste brusque, agacé, frustré.
Il est des livres pour lesquels mes outils fonctionnent à la perfection. Ce sont des livres que j’écris sans avoir besoin d’en jeter préalablement trois aux orties. Les livres que je tiens à écrire — je devrais dire le livre, parce que c’est toujours le même, sous des aspects différents — celui-là me provoque. Il m’appelle, se montre furtivement avant de disparaître derrière un tronc. Il a disparu quand j’arrive sûr de pouvoir l’attraper.
C’est sans doute un fantasme. Un mirage. Ce livre-là n’existe peut-être que dans un interstice étrange entre rêve et réalité. Il n’est pas que rêve, puisqu’il laisse sur mes pages des traces de son passage. Il est dans cet entre-deux, réel et insaisissable.
Je rappelle que je n’ai pas d’idée sur lui. J’ignore ce qu’il doit être. Je n’ai pas construit un livre idéalisé dans mon imaginaire, que je chercherais vainement à retrouver dans le monde. Je ne le connais que parce que je le rencontre continuellement au détour de mes phases d’inspiration. Je le décèle dans les fragments que j’accumule sans parvenir à les achever.
C’est lui qui capte mon attention, c’est pour le cerner que je m’obstine à coucher les mots. C’est une poursuite vaine, comme une fascination pour le monde de l’étrange. Je me sens proche de ces personnages de contes qui s’élancent, comme hypnotisés, après les créatures du Petit Peuple alors même qu’on les a avertis des dangers d’une telle attitude.
Si j’ai une intention artistique en 2022 ce n’est pas de le capturer mais de continuer à affiner sans cesse ma pratique et ma plume afin d’être disponible pour les moments où il décidera de s’exprimer à-travers moi.
J’ai retenu cette phrase d’un livre : « les indices sont partout autour de toi ».
Cette année, je me rends sensible aux indices.
Empreintes de pieds de lutins, étincelles de poudre de fées, je suivrai votre piste, où qu’elle m’emmène.