(in)disponibilité affective

Il y a des périodes comme ça, où l’attention est concentrée, happée, par des tas de choses plus ou moins idiotes. Du boulot, des bêtises administratives, les vacances scolaires, le travail personnel qui reprend, la fatigue, le pollen et ses allergies, la pâte à crêpes qui attend d’être utilisée, les rendez-vous, les coupures inattendues à la racine du pouce, et puis la famille qui débarque avec qui il faut définir de nouvelles frontières. Toute ressemblance avec des personnes et événements réels serait le fruit des coïncidences et du hasard. La jauge de disponibilité affective directement affectée. Ça fuit. Sérieusement, il n’y a plus rien dans le réservoir. C’est vide. Même pas de quoi apprécier une ptite vite entre deux portes. Juste vide.

Alors il y a les amis qui sont là, quelque part, qui passent ou ne passent pas, écrivent ou n’écrivent pas, et la petite voix dans la tête qui dit: « tu dois t’occuper d’entretenir tes relations, tu dois envoyer des messages pour dire ‘je pense à toi' ». Et l’autre voix qui dit: « Non! Ne fais pas ça! Ils vont prendre ça pour une invitation à plus, à des cafés et des moments de partage et des coups bus en terrasse et … non, ne fais pas ça! »

C’est pas joli joli le discours de l’indisponibilité affective, mais il faut bien l’admettre, il traîne dans le coin régulièrement.

Ce n’est pas un vrai problème, mais c’est toujours sympa d’avoir des mots à mettre sur les ressentis et les expériences. La prochaine fois que je me sentirai déphasé par rapport aux autres, je pourrai regarder à l’intérieur et me demander où j’en suis, niveau disponibilité affective. Est-ce que j’ai de la place pour recevoir de l’amour et en donner ? Est-ce que je suis agité dès qu’il faut que je me pose pour échanger un moment de vulnérabilité et d’intimité (hey, je ne parle pas de sexe pour une fois!) ? Est-ce que je n’attends qu’une chose, c’est que la journée se calme pour pouvoir m’attaquer à des tâches ou simplement récupérer devant un morceau de Netflix ou un bouquin ou … « ce que je veux en fait et ça ne regarde personne! » ?

Bon, ben la prochaine fois, plutôt que de faire le mort ou d’être awkward dans une interaction sociale, je pourrai dire : « excuse-moi mais là ma dispo affective est à zéro ». Et ça passera. Elle reviendra.

Et j’ai un pouvoir là-dessus, je peux faire l’effort de me rendre disponible. Je peux mettre en place des stratégies pour compartimenter les morceaux de ma vie, et dire « Ok, le temps de cette interaction, j’oublie touuuuuuuuuuuus les trucs qui me demandent de l’énergie en ce moment, et j’y reviens après » mais si je suis honnête, ça me gave. Parce que dans ces moments-là, tout ce que je veux c’est FAIRE ces trucs qui me demandent de l’énergie. Parce que ce sont les trucs les PLUS IMPORTANTS DU MONDE à ce moment-là (pas de façon absolue, mais là, tout de suite, oui, et quand je dis « du monde », c’est toujours « de mon monde »).

Mais après, forcément, tout de suite, la partie qui pense à long terme en moi, le général qui étudie les situations et établit des stratégies, se lance dans de longues diatribes : « Sire! » (oui, dans ma tête, les différentes voix m’appellent « Sire », deal with it) « Sire! Si nous ne donnons pas de temps aujourd’hui à cette personne, le lien qui l’unit à nous va se distendre et nous risquons de la perdre! Il est de mon devoir de vous avertir que vous devez veiller à la continuité du lien… Sire »

Alors comme ça, ça sonne sociopathe mais en vrai, ce sont des tas d’émotions qui sont agitées à ce moment-là. La peur de l’abandon et de la solitude (ON MEURT TOUS SEULS!). Bon, il y a aussi une part qui calcule le coût énergétique et affectif que cela représente de créer du nouveau lien vs d’entretenir le lien existant, mais l’un n’est pas exclusif de l’autre, on peut être émotionnel ET rationnel. Je sais que vous comprenez.

Bref, le général fait chier.

Ma conscience de ma mortalité m’oblige à lui faire une place importante dans mon équipe. Si je ne suis pas stratège, si je ne vis qu’au fil de mes envies du jour, vu qu’elles dépendent autant du climat que des sursauts de ma curiosité, je vais finir sans avoir rien réalisé.

L’équilibre, cependant, est important. Parce que la voix qui s’exprime au quotidien est celle de l’intuition, celle de la plus petite prochaine action, celle qui garantit l’exécution des plans du général. Il faut faire, pas seulement planifier, parce qu’à planifier sans jamais agir, on finit par se perdre dans le rêve. « Un jour, dit-on, un jour ».

Comme dans un conseil, j’écoute. Le général, l’intuition, le bouffon, le trésorier, l’intendant, le maître du temple, le responsable de la luxure (« Pour le public, c’est le « maître de cérémonies » »), le censeur, bref tout le monde. C’est la cacophonie. Ce que d’autres voient comme des tâches colorées sur une IRM est dans mon crâne comme une assemblée bruyante sous un dôme à l’acoustique étourdissante.

Une fois qu’ils se sont tous exprimés, je prends la décision que j’espère la plus éclairée possible.

Et quand ma jauge de disponibilité affective est basse, en général, le Général peut aller se rhabiller.