Rien à raconter sur ce titre, mais je voulais le consigner quelque part parce qu’en lisant de travers « hippodrome », j’ai senti l’étincelle de quelque chose. Un drame équestre, un mélodrame en calèche ? Ou une version plus métaphorique, comme un drame lancé au galop. Hippodrame, donc.
Je m’interroge sur la légèreté et la complexité. Peut-on vivre légèrement une situation complexe ? Quand on dit « c’est compliqué », est-ce d’abord parce que ça manque de légèreté ?
Je réinvestis mon écriture. Après une année presque et demie de jachère, je retrouve l’élan quand je tombe sur un appel à textes ou un simple mot, comme aujourd’hui. Je continue à rêver des paysages complètement fous. La nuit dernière, en avion, je longeais d’immenses murailles mi minérales (façonnées) mi végétales.
J’ai goûté un café très floral. Le sakura de chez Books & Coffee. Et un autre dont je n’arrive pas à dire s’il me plaît tant ses arômes sont prononcés. Je ne l’ai pas sous la main, c’est un café de Colombie supposé porter des notes de fruits cuits, cerise et cardamome. Je les cherche. Ma mouture était trop grosse ce matin. Je réessaierai.
Je m’interroge sur ce nouvel impératif social de protéger les gens contre ce qui pourrait les perturber. Contre la vie, quoi. Il y a vingt ans, pour un projet d’animation au conservatoire, j’imaginais un monde de surprotection dans lequel les humains vivaient à l’intérieur de bulles en plastique qui absorbaient tous les chocs. À force de vivre sans aucune perturbation, ils se transformaient en crevettes. Il est peut-être temps de dépoussiérer ce projet.
Être dérangé, c’est l’essence même d’être vivant. Sinon, on ne sortirait pas de la matrice originelle. Et encore, même dans le ventre maternel, il y a des agressions et des dérangements. C’est ce qui nous façonne. Je me demande à quoi ressemblerait une société du confort total. À part à une société de crevettes. On en a des prémices dans Judge Dredd. Le thème n’est pas nouveau. Je tire une ligne au moment où l’on veut rendre l’art inoffensif.
Lu dans un article aujourd’hui : « Ces indications permettent aux lecteurs de prendre des décisions éclairées quant à la pertinence du livre en fonction de leurs besoins, préférences ou considérations personnelles. Ils [aident à] éviter des expériences de lecture potentiellement inconfortables ou inappropriées tout en respectant la diversité des sensibilités et des attentes des lecteurs. Les avertissements […] sont étroitement liés au concept de safe space« .
Le livre est un « safe space » par essence. L’endroit insécurisé qui est révélé par la lecture, c’est notre propre psyché. La littérature, l’art en général, doit s’attacher à sa liberté d’offrir des expériences inconfortables, impertinentes, inappropriées, indifférentes aux préférences et considérations personnelles des lecteurs. L’art, s’il doit avoir une fonction sociale (et c’est discutable), peut être un espace de perturbation du statu quo, en particulier le statu quo internalisé du lecteur. L’art nous sort de nous.
Si nous l’utilisons uniquement pour qu’il conforte nos biais préexistants, pour qu’il nous maintienne dans le paradigme que nous connaissons déjà, il n’est qu’un produit de consommation comme un autre, destiné à répéter le discours dominant, outil de propagande passive. L’ont bien compris les grands patrons impérialistes des grands groupes éditoriaux.
Je lis (et écris !), de temps en temps, des livres confortables, mais je ne me leurre pas à leur sujet. Il leur manque cette capacité à éclairer pour moi le monde sous un jour nouveau.
Il ne s’agit pas de perturber gratuitement, de choquer pour choquer, mais de produire une œuvre sincère et vulnérable, et d’accepter que l’Autre, qui reçoit notre vérité la plus crue, puisse la trouver inconfortable. C’est à mon sens là, dans ces espaces de friction entre soi et le monde, entre soi et l’altérité, que l’on peut réellement grandir, et que l’existence trouve un semblant de sens.
Échapper à l’inconfort, s’enfermer, collectivement, dans l’injonction à ne pas déranger, c’est peut-être là le plus cavalcadant des hippodrames.
Photo de Morgan Housel sur Unsplash