Dans dix ans, un autre monde

Il paraît que dans dix ans, nous aurons épuisé les métaux rares qui composent nos machines. En même temps, Macron annonce la commande de nouveaux réacteurs nucléaires. C’est à se demander comment le monde continue à fonctionner. Je sais aussi que Macron veut explorer les fonds sous-marins pour en extraire davantage de métaux rares. Nous allons finir par réveiller les grands anciens.

Je me demande comment le monde tient encore debout.

Rox a raison de vouloir partir.

Je doute que nous parvenions à échapper à la progression du monde, mais en nous isolant dans une maison aux murs couverts de livres, nous réussirons sans doute à étouffer les cris d’agonie de la société. Nous lirons et nous nous réciterons le contenu des livres, comme dans Farenheit 451. Comme dans Station Eleven, nous les jouerons sur la route.

Le monde de demain n’est pas source de rêves, il est source d’angoisses. Nous vivrons en dictature, les robots seront partout, les ressources manqueront régulièrement. Ce sera le nouveau moyen-âge. La chute d’un nouvel Empire. J’ignore ce qu’il y a à en raconter.

Un journal permet de laisser un témoignage de l’effondrement.

Croire que la génération qui arrive changera quelque chose, croire que le progrès apportera une solution, c’est se bercer d’illusions. Ça ne veut pas dire que ce monde soit désagréable. C’est la perte du confort qui est difficile. J’ai l’impression que plus ma vie progresse, moins j’ai de confort. Je finirai peut-être dans une roulotte. Vieillard écrivant en plissant les yeux, la main tremblante, à la lueur d’une chandelle, à l’arrière d’une maison sur roues tirée par un cheval devenu un ami.

C’est peut-être cela, ma vieillesse.

Il serait alors temps pour moi d’apprendre à conduire un attelage, de m’habituer à quelques menus travaux d’entretien et de réparation, à la récupération et au recyclage. À la couture et au reste.

J’imagine un monde dans lequel on recommencerait à se mouvoir à cheval tout en continuant à utiliser des appareils électroniques. À force de bricolage, on pourra toujours accéder aux réseaux, utiliser les satellites pour se repérer, regarder de vieux films oubliés sur des serveurs en fin de vie que plus personne n’entretiendra. Si, toutefois, des pirates ne les ont pas vérolés pour le sport.

L’économie sera revenue au troc. Le plastique échoué sur les plages servira de matériau de base à bon nombre de constructions et d’objets bricolés. L’air sera peut-être redevenu respirable si le pétrole a cessé de brûler. Des intempéries terribles s’abattront sur nous sans prévenir.

Ou alors je vivrai en bateau, mais j’y crois peu.

J’écouterai, sur une radio à manivelle, les émissions des ondes AM. Je vivrai sur la route. Pourquoi seul ? Aurai-je enterré tout le monde ? Les aurai-je perdus dans une tempête ? Les aurai-je cherchés des semaines sans les retrouver. Aurai-je dû me résoudre au deuil, à l’acceptation de leur disparition ? Je parlerai à leurs fantômes. Je croirai les reconnaître, souvent, au hasard d’un visage inconnu, d’une démarche faussement familière.

Plus probablement, je serai mort et ce sera moi le fantôme auquel parleront ceux qui m’auront aimé.